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Lerox Lidrary
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LA BELLE PAULE
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PARI?. IMP. L. POIPART-DAYYL, .^O, MJE DU BAC
LA COMÉDIE ACADÉMIQUE
LA
BELLE PAULE
PAR
CHAMPFLEURY
-G"»*,»'
PARIS
LIBRAIRIE INTERNATIONALE
15, BOULEVARD MONTMARTRE
A. LACROIX, VERBOECKHOVEN A C\ ÉDITEURS A Bruxelles y à Leipzig et à Livourre
1867
Too» droits de traduction et de reproduction rt-ter é»
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A VICTOR EUQO
On trouve dans la littérature chinoise de tendres fictions oie les lettrés jouent un grand rôle.
Le drame se passe sous des amandiers en fleurs et dans de riants pavillons, à l'intérieur desquels les principaux acteurs sont occupés à « boire le vin » et à composer des vers.
Rien n'est plus intéressant que ces drames où V amour de la nature se mélange à renseignement d'une douce morale.
LA BELLE PAU LE appartient par certains côtés à la littérature chinoise , non pas que le conteur ait asservi sa plume à calquer les procédés des ro- manciers du Grand - Empire ; mais la noble pas- sion de la poésie qui circule à travers le drame, le manque absolu de concessions a ce qu'on est convenu d'appeler l'intérêt, le peu de respect pour la suite au
prochain numéro, une des plaies que le journalisme a grattées jusqu'au vif sur le corps du roman moderne, ont fait que de longues années ce livre est resté ina- chevé, V auteur ayant conscience de la singulière figure que produirait son œuvre en face des rocam- boles grossières a l'aide desquelles on corrompt V esprit public.
Vos dernières oeuvres. Monsieur, mont rendu courage. Sans les TRA V AILLEURS DE LA MER, le roman de LA BELLE PAULE serait resté inachevé , car elle est fécondante V influence d'un homme de génie qui, ne croyant pas avoir assez fait pour sa gloire, cherche des aspects nouveaux et lutte comme au temps de sa jeunesse.
Cela est bon, viril, sain pour tous.
Et les grands souffles marins qui s échappent de vos dernières œuvres ont quelque chose de récon- fortant.
Champfleury.
Parti, mai 1867.
LA
BELLE PAULE
Toulouse est encore , à l'heure qu'il est , une des cu- rieuses villes de France. Profils de constructions civiles et religieuses plus espagnoles que françaises, vieilles tours d'église qui tiennent de la forteresse, façades de cloîtres aux symboles mystiques taillés dans le triangle des frontons, moines et religieuses cheminant, font de Tou- louse une ville ayant résisté aux secousses de la civilisa- lion, malgré les courants vitaux que laisse après elle la machine à vapeur.
Toulouse se réveillera peut-être du long sommeil qui l'enveloppe depuis le moyen âge; il n'en restera pas moins certaines artères dans lesquelles le sang moderne aura peine à circuler, et entre autres le quartier de la Dalbade, asile des familles parlementaires, des maisons
$ La belle pàulë
desquelles on verrait sortir sans étonnement un ancien capitoul, vêtu d'habits rouges et noirs, grave et sévère comme au temps de la Ligue.
Aucun commerce n'anime ce quartier. Si on excepte l'ancien hôtel des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem , qui deux fois l'an , à l'époque de la foire , ouvre ses portes aux fabricants de draps du bas Languedoc, tout négoce est exilé de ces rues, que trouble seul, un Guide à la main, le voyageur curieux.
C'est là que se voit la merveille du pays, la fameuse Maison de pierre, dont le nom paraîtrait singulier si le conteur ne faisait remarquer que la plupart des construc- tions qui entourent l'hôtel sont bâties en briques. .
La Maison de pierre, d'une architecture riche, fait penser aux décorations théâtrales du peintre Le Brun. Dépaysée à Toulouse, elle trouverait son cadre à Ver- sailles, dans le voisinage du château. L'œil, égayé par les ingénieuses combinaisons de la brique des maisons voisines, est étonné par cette fastueuse construction, qu'aurait dû habiter le surintendant Fouquet. Un luxe excessif ressort d'une accumulation mal ordonnée de statues, de reliefs, de consoles et d'enroulements qui sentent leur traitant.
Bachelier, fils du grand architecte qui a rempli Tou- louse de chefs-d'œuvre, obéit certainement, en cons- truisant la Maison de pierre, au mauvais goût d'un parvenu qui voulait que sa fortune fût inscrite dans chaque détail d'architecture extérieure. L'artiste sur- chargea son plan de trophées, de mascarons, de car- touches, pour; répondre à la vanité de l'homme qui payait.
Aussi cette riche Maison de pleite émerveilla tellement le pays habitué à la brique harmonieuse, que le peuple d'aujourd'hui (et pourtant la construction ne date guère
U SELLE frAtlLÈ 3
fie plus de deux siècles) attribue la construction du fameux hôtel aux Romains, tradition qui n'est pas sans racines, quoique le style du bâtiment soit sans parenté avec l'ornementation antique.
Vers 1610, à l'époque où fut commandé l'hôtel, Ba- chelier se servit des ruines d'un temple de Pallas trouvées dans la Garonne, pour les fondations de la bâtisse; en mémoire de cette découverte, des aigles et des hiboux furent sculptés sur la façade, en souvenir des corniches du temple antique : par le même motif, Mercure et Junon, Apollon et Pallas jouèrent un rôle entre les colonnes corinthiennes cannelées qui forment un somptueux avant-corps au-dessus de la porte prin- cipale.
Ces détails d'architectonographe peuvent sembler inu- tiles au lecteur qui ne cherche pas, comme l'observateur, à se rendre compte de la forme d'un marteau de porte ; car h bien connaître un marteau de porte, on peut avoir quelque idée du propriétaire qui l'a fait poser.
Un détail lavera Bachelier du mauvais goût de la façade, après quoi les personnages viendront parader devant le décor.
L'architecte toulousain a reconquis ses droits dans la cour de l'hôtel, dont l'ornementation est enrichie de marbres de couleur encadrant des groupes animés par un dernier souffle de la Renaissance. Bachelier père eût applaudi aux cariatides élégantes rompant l'uniformité des demi-cercles d'une galerie qui entourait la cour, et que les propriétaires modernes ont malheureusement condamnée, convertissant en écuries cette galerie pleine de fraîcheur.
Vers 4832, l'homme qui sortait par la porte somp- tueuse de la Maison de pierre s'appelait Negofousse. Il atait l'ampleur de son nom. Gros, grand, carré des
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épaules , haut en couleur, doigts carrés avec des brous- sailles de petits poils sur chacune des phalanges, cou de taureau formant ligne droite avec le crâne, bourrelet de chairs dépassant le col de l'habit, n'annonçaient pas une origine parlementaire.
Negogousse, le plus riche marchand d'huiles de Tou- louse, s'était passé la folie de la Maison de pierre, se rapprochant, sans s'en douter, des goûts du proprié- taire primitif. Le quartier de la Dalbade faillit prendre le deuil d'un tel voisinage.
Les Parrequemioières , les Labastide- Beauvoir, les Castelnau-d'Ëstafonds, les de Cry, les l'lsle-en-Dodon se regardèrent comme salis par la tache d'huile qui ga- gnait un quartier jusque-là réservé à la noblesse de robe; c'était un sipe d'usurpation de la bourgeoisie triomphante.
Toutefois le marchand d'huiles s'installa dans la Mai- son de pierre sans se douter de l'envie qu'il excitait dans un quartier où il n'était question que de nobles traditions.
— Que vient faire ici cette épicerie! s'était écriée madame de Parrequeminières.
Le mot resta.
Negogousse sortait de son hôtel , rêvant à ses com- mandes, sans se douter que derrière les rideaux des mai- sons voisines de vieilles douairières, le montrant du doigt, se disaient :
— Il va faire de la Maison de pierre une succursale à son commerce.
Les Toulousains, sans respect pour des souvenirs his- toriques, ont transformé en écurie plus d'une église, en magasins plus d'un monument. Toutefois Negogousse ne donna pas raison à ses nobles voisins.
Ayant trouvé un riche hôtel , Negogousse , sans se
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préoccuper de l'opinion publique, pensait à Paule, sa fille chérie.
Le marchand en gros , l'homme au bouquet de poils sur les doigts , au cou de taureau avec de rouges bour- relets de chair , ne dépensa pas moins de trois cent mille francs dans l'aménagement de la Maison de pierre.
Il fallait vendre plus d'une tonne d'huile pour combler une telle brèche ; mais y avait-il un nid assez élégant pour abriter la belle Paule ?
Si un Cervantes mène toute une vie de pauvreté avec le secret espoir de laisser une œuvre qui rendra son nom immortel, un commerçant trouve dans l'amour pour son enfant des ressorts particuliers qui lui font tenter des entreprises aventureuses comme celles d'un poète.
Dn poëme à composer, une fille à élever sont des le- viers à l'aide desquels l'homme dispose de forces consi- dérables.
A différentes reprises, passant devant la Maison de pierre, Negogousse s'était dit : — Quelle figure ferait ma Paule à ces belles fenêtres !
Il avait le portrait. Pendant quatorze ans il travailla k acquérir le cadre.
Peut-être la mère de Paule n'eût-elle pas compris la fantaisie du négociant, si elle avait assez vécu pour la voir réaliser; mais les pères qu'un veuvage précoce laisse avec un enfant sont doués tout à coup de ten- dresses inexprimable?, androgynes pour ainsi dire. A leurs caresses se mêle quelque chose de particulier. Leur voix trouve des inflexions pénétrantes et délicates qui essayent de faire oublier à l'enfant que sa mère lui manque.
Qui aurait cru, en regardant Negogousse passer dans
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la ville , que sous l'épaisse encolure du marchand se cachait un cœur teudre?
A ses commis il parlait toujours rudement, à Paule toujours doucement.
Le jour il ne pensait qu'au négoce; dans son cerveau sans cesse roulaient d'énormes tonneaux d'huiles. Ren- tré chez lui, il ne s'occupait que de sa fille, l'interrogeait sur ses moindres actions et s'y intéressait plus encore qu'à ses spéculations;
Le père absorbait }e négociant. Il eût fait trois cents lieues en diligence, négligeant ses intérêts commerciaux, pour rapporter un ruban à sa fille, si Paule eût eu l'a* mour des rubans.
Paule, à l'âge de treize ans, avait perdu sa mère; une sorte de mélancolie en résulta qui donnait h sa beauté blonde un charme particulier.
Paule aimait son père et lui rendait caresses pour caresses ; toutefois une place vide restait au fond de son cœur, la place de la tendresse maternelle, qui, n'ayant pu éclore et donner sa floraison, la rendait souvent inquiète et pensive. Il est de ces confidences , de ces projets de jeune fille qu'une mère seule comprend à demi-mot.
Une servante, la vieille Mamette, quittait rarement Paule, cherchant à enjouer sa chère enfant : ni Nego- gousse ni Mamette ne remplaçaient la mère absente.
Derrière la Maison de pierre est un jardin au pied du- quel circule un petit bras de la Garonne, se jouant en méandres capricieux dans l'Ile de Tounis, habitée par de pauvres gens. Paule se promenait d'habitude dans ce jardin, regardant mélancoliquement la Garonne, ou écoutant sans les entendre les propos des pécheurs qui formaient diversion à ses pensées.
Accoudée sur la balustrade qui clôt le jardin, elle sui-
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▼ait l'horizon bleu, au fond duquel pointent les Pyrénées nuageuses. A ses côtés, Mamelle, ravaudant quelque linge, subissait, dans une demi-somnolence, la douceur du climat \ rarement la vieille servante ouvrait la bouche, sinon quand soufflait le vent marin, un des grands motifs de conversation de Toulouse/
Vers onze heures , Paule, ayant fait sa toilette , guet* tait l'arrivée de- son père à Tune des fenêtres de la façade.
Un bras à demi nu posé sur l'accoudoir de la fenêtre» entourée de panoplies d'armes sculptées entre chaque embrasure, Paule faisait penser aux châtelaines qui* assises à la fenêtre d'une tourelle élevée, attendaient pendant des années entières le retour de la croisade de leurs chevaliers.
Le cœur de Negogousse battait quand au tournant de la rue il apercevait se détachant sur le bleu de l'horizon les cheveux blonds de sa fille.
— Que ma Paule est belle I pensait le marchand, qui ne se doutait guère que la riche Maison de pierre , son peuple de statues , les cornes d'abondance qui versent à profusion des fleurs et des fruits dans les enroulements de l'architecture, ne comblaient pas le vide du cœur de sa fille.
Il faut être né dans ces quartiers parlementaires pour en comprendre le charme grave. Tout mouvement en est absent, à l'exception d'une vieille servante sortant de longs corridors au fond desquels la lumière se joue dans de petites cours qui rappellent les tranquilles intérieurs de Pierre de Hooghes.
Si quelque dame âgée descendait les marches de son hôtel pour aller entendre la messe de la Daurade, Paule surprenait des regards secs et froids qui prouvaient la médiocre sympathie que son père inspirait dans le quartier.
8 LA BELLE PAULE
De vieux messieurs en douillette se montraient dans la matinée, les uns pour se rendre au tribunal, d'autres pour assister aux offices. Pas un n'avait de sourire pour la jeune fille, qui se sentait comme cloîtrée dans la riche Maison de pierre.
La noblesse ne pardonnait pas au marchand d'huiles d'avoir eu l'audace de s'établir dans un quartier consa- cré aux anciennes familles; le luxe du splendide hôtel offusquait les voisins habitués à regarder la Maison de pierre comme réservée aux .descendants des capitouls dont le blason était sculpté sur la façade.
— Vraiment, dit un jour madame de Parrequeminières, pourquoi cette épicerie ne fait-elle pas gratter le blason pour sculpter à la place un pitcharrou (4)?
Des nombreuses épigrammes improvisées sur Nego- gousse dans les salons du quartier de la Dalbade, celle-ci prit corps. Longtemps la Maison de pierre fut appelée la Maison du pitcharrou par la noblesse caus- tique.
Paule ignora ces malignités ; elle n'avait de rapports qu'avec l'abbé Desinnocends, curé de la Dalbade, qui n'était pas d'un caractère à faire connaître à Negogousse le ridicule dont ses voisins l'accablaient. Lui-même, d'ailleurs, l'abbé Desinnocends , n'avait pas conquis les bonnes grâces de ses paroissiens , qui réservaient leurs hommages et leurs faveurs pour l'église de la Daurade, à cause du souvenir de Clémence Isaure qui y est at- taché.
Toulouse, quelque importance commerciale que prenne plus tard la cité , restera toujours la patrie de Clémence Isaure , des Jeux Floraux, du Capitole , de la noblesse de robe et des sentiments religieux.
(1) Le pitcharrou est un grand vase de terre, émaillé de vert, dans lequel l'huile s'expédie.
LA BELLE PAULE 9
Malgré les commotions politiques *et les bouleverse- ments sociaux du dernier siècle, Clémence Isaure sert de drapeau aux regretteurs du passé. C'est ce qui explique pourquoi la noblesse suivait les offices de la Daurade , placée sous le patronage de Clémence Isaure; comment l'abbé Desinnocends vivait isolé dans sa modeste cure , et comment il s'était attaché à la belle Paule qui, n'ayant pas de quartiers de noblesse, allait entendre la messe à sa paroisse.
La religiosité ne tenait pas une large place dans le cerveau de Negogousse; grâce à Paule, il devint la providence de l'église abandonnée. Il faisait à sa fille une petite rente, qui passait presque tout entière dans les mains de l'abbé Desinnocends, quoi que fit celui-ci pour se défendre de ses largesses. Il y était si peu habitué ! Mais l'argeut ne restait pas longtemps dans la bourse du curé. L'église avait besoin de nom- breuses réparations, et les dons n'affluaient pas, sauf ceux de Paule.
M. Desinnocends était donc le seul étranger qui fran- chit le seuil de la Maison de pierre, et Paule se plaignait de ne l'y pas voir plus fréquemment, 'car entre elle et le prêtre régnait une affinité de sentiments qui la rendait heureuse. En compagnie du curé de la Dalbade , le vide de son cœur était rempli. Negogousse ne demandait pas mieux que d'inviter chaque jour M. Desinnocends à sa table, si le curé ne se fût excusé de ne pouvoir accepter plus d'une fois par semaine.
Ce jour-là était une fête pour Paule. Le jeudi consa- cré à M. Desinnocends, le dimanche où elle allait à la paroisse , sa physionomie perdait tout caractère de mé- lancolie.
x.
II
Un matin, Paule, ouvrant sa fenêtre, aperçât en face d'elle, dans la maison voisine, un jeune homme qui eva les yeux au bruit de l'espagnolette.
Paule rougit et baissa les yeux.
Dans la petite maison occupée depuis peu par une veuve, les rideaux du premier étage avaient été jusque-là scrupuleusement tirés.
Le sang aux joues, Paule, gênée par une émotion soudaine, chercha une contenance, feignant de regarder au loin si son père ne venait pas ; gênée dans ses mouve- ments, honteuse, elle se sauva tout k coup dans un coin de sa chambre.
Une biche, qui a entendu un bruit de feuilles près de la mare où elle se désaltère , n'est pas plus alerte à la fuite.
S'asseyant sur une chaise, Panle, étonnée des batte* ments de son cœur, se dit que le voisin devait sourire de cette brusque disparution. La main sur les yeux, comme pour cacher sa propre rougeur, elle réfléchit.
Autant qu'un rapide coup d'œil le lui avait permis,
LA BELLE PAULK 4i
Paule, au milieu de son trouble, se rappelait un jeune homme aux yeux doux et spirituels.
Était-il encore à la fenêtre? Qu'y faisait-il? S'il res- tait, Paule n'osait sortir du coin où elle était blottie* Elle songea à quitter sa chambre, mais l'unique porte de sortie donnait ep face de la fenêtre voisine.
Reparaître à la fenêtre , c'eût été de la coquetterie ; la fermer, n'était-ce pas indiquer au voisin qu'il avait été vu?
Quel singulier émoi agitait Paule, qui jamais n'avait ressenti de telles sensations? Pourquoi son regard se voilait-il? Pourquoi ces battements de cœur qui sem- blaient remplir le boudoir? Pourquoi l'air était-il tout à coup plus rare et plu» doux ? Et le soleil qui brille subi* tement d'un nouvel éclat !
Paule n'osait à cette heure se regarder dans une glace. Elle craignait d'être « affreuse * .
Paule a presque peur du jeune homme. Que peuae-t-il? Voilà ce qu'elle voudrait voir. N'a-t-eile pas été impru- dente de se sauver ainsi? Que faire?
Retenant son souffle (Paule craignait que de l'autre cêté de la rue on ne l'entendit respirer), la jeune fille s'était levée, posant un pied timide sur le tapis. Au flé- chissement de son corps, elle sentit que l'émotion n'était pas encore dissipée.
— Qui peut être ce jeune homme? se demanda Paule songeant à l'isolement dans lequel se renfermait son père vis-à-vis de ses voisins. Encore, si la vieille Hamette se fût trouvée to, on eût pu en tirer qielques renseignements.
Paule savait maintenant ee qui manquait à son bonheur. La solitude de la Maison de pierre lui pesait*
Qttefles singuUèn* pensées peut amener l'ouverture d'une fenêtre I Paule en était surprise.
iî LA BELLE TAULE
— Courage ! se dit-elle.
S'étant levée, elle alla vers la fenêtre, dont un des battants se repliait à angle droit dans la chambre ; cepen- dant Paule s'arrêta tout à coup.
Elle ne pouvait voir la maison voisine qn'en se pré- sentant à la fenêtre, et elle n'osait tenter une entreprise si hardie.
Par un mouvement imperceptible, l'un des battants remua. Paule doucement l'avait poussé; toutefois le moyen lui parut bon. En obliquant avec précaution la fenêtre à divers intervalles, Paule, protégée par le rideau, put s'assurer que le voisin était encore à son poste.
Paule se dit que ce n'était pas pour le regarder qu'elle poussait la fenêtre avec tant de précautions. En ce moment, elle voulait sortir de sa chambre sans être suivie par un regard curieux ; mais la fenêtre obliquait lentement sur ses gonds, poussée par la main de la jeune fille, qui tremblait comme si elle eût commis une faute.
Elle avait peur qu'un coin de sa robe ne fût entrevu, peur de son ombre sur le tapis, peur de son manège, lorsque tout à coup la porte s'ouvrit brusquement.
Negogousse, étonné de ne pas voir Paule à la fenêtre, suivant son habitude, était monté à sa chambre.
— Tu m'oublies, Paule, dit-il.
Une table de toilette adossée au mur favorisa le pre- mier mensonge de la jeune fille.
— J'étais occupée à lisser mes cheveux, dit-elle; j'avais oublié l'heure.
— Comme tu es pâle !... Souffres-tu?
— Ce n'est rien, père; un moment de malaise... Une sorte de vertige s'est emparé de moi pendant que j'étais à la croisée.
En même temps Paule poussait résolument la fenêtre. L'arrivée de son père lui rendait sa présence d'esprit.
LA BELLE PAULE 13
— Un vertige ! s'écria Negogousse. La fenêtre est-elle si haute ?
PaiJe sauta au cou de son père pour l'empêcher de mesurer la distance du premier étage.
— C'est passé, dit-elle... Mais ne sois pas étonné de ne plus me voir à cette fenêtre de quelque temps...
En effet, Paule n'ouvrit plus la croisée pendant deux jours; mais elle profilait du moindre instant de liberté pour s'embusquer derrière les rideaux afin de revoir le jeune homme. Ainsi elle put l'étudier à loisir.
Assis près de la fenêtre, le voisin semblait plongé dans la lecture d'un livre posé sur ses genoux ; à tout instant, ses yeux inquiets se relevaient et comme à regret s'abais- saient sur le gros volume qu'il devait peu comprendre, car à chaque page il le reposait, se levait et semblait vouloir percer du regard les murs de la Maison de pierre.
Le jeune homme avait une physionomie fine et ou- verte-
— Il semble chagrin, pensa Paule, de ne plus voir la fenêtre ouverte.
Elle n'osa pas penser : « me voir », et elle rejeta les regards du jeune homme sur la curiosité produite par l'intérieur de la chambrelte que Negogousse avait fait décorer de perse riante.
Cette comédie dura huit jours, à la suite desquels Paule se dit que sa chambre manquait d'air et qu'il ne fallait pas l'en priver parce qu'un jeune homme curieux demeu- rait en face.
Après maints combats, un matin qu'elle se demandait s'il fallait prolonger la punition du voisin, Paule aperçut la fenêtre d'en face fermée.
Elle ressentit un malaise inconnu.
Était-tï parti?
Paule regarda dans la rue sous le prétexte d'attendre
14 U BELLE PAULE
son père; mais elle he l'avait jamais attendu de si lon- gues heures inquiète. L'arrivée de Negogousse ne lui rendit pas là tranquillité; cependant Paule essaya de sourire à son père, pour tirer de lui quelques renseigne- ments sur k$ voisins; mais ce ne fut qu'à l'aide de petits mensonges qu'elle amena la conversation suivant ses souhaits.
~ J'ai vu, dit-elle, sortir madame Fateonuet.
— Ah ! dit Negogousse , qui ignorait le nom de Sa voisine.
Paule ne tarissait pas en compliments sur l'extérieur distingué de madame Falconnet.
— Je ne la connais pas, dit Negogousse.
— Elle tenait un paroissien à la main, dit Paule sur- prise elle-même de ses fables, car la sortie de la veuve n'existait que dans l'imagination de la jeune fille.
— Les habitants de ce quartier, dit Negogousse, pas- sent leur vie à l'église de la Daurade.
Intérieurement, Paule souhaitait que le jeune homme, saus doute fils de la voisine, accompagnât la vieille dame aux offices.
— Petit père, continua Pauls» me permettras~tu d'al- ler un dimanche entendre la messe à la Daurade?
— Que dirait l'abbé Desinnocendsî
— Tu as raisoû, reprit Paule.
— Sans doute, tu peux aller à la Daurade; mais il faudra confesser ce péché de curiosité à l'abbé Desin- nocends.
— C'est un caprice, dit Paule, qui, alors seulement, pensa aux petits mensonges qu'elle aurait h avouer à son confesseur.
L'arrivée de Mamette mit terme à cette conversation. Paule, se sentant devenir rusée, ne voulait pas entamer le
LA BELLE PAULE 15
chapitre de la voisine devant la serrante. Quand celle-ci fat sortie :
— Madame Falconnet vit seule sans doute? dit-elle.
— Tu t'intéresses k cette dame ? demanda Nego- grasse.
La question fit frémir Paule et la rendit prudente. Elle vit son secret, son joli secret découvert. Pour le mieux déguiser, elle fit mille cajoleries à son père, caqueta sur les choses les plus diverses, et n'eut de cesse que quand Negogousse lui eut promis de l'emmener le soir même, à l'heure de la retraite , sur la plaee du Capitale.
— J'aime tant les trompettes 1 dit Paule.
Et elle faisait le tour de la table, le poing sur la hanche, sonnant de gaies fanfares qui remplissaient d'épanouissement le cœur du marchand d'huiles. -
Ces fanfares cachaient de secrètes émotions.
Paule dormit mal. Des rêves bizarres et anxieux traversaient son sommeil.
Au matin, vers neuf heures, elle courut à son obser- vatoire. Les rideaux d'en face étaient toujours soigneu- sement tirés. .
Paule ressentit des sortes de bdtrres dans la poitrine.
Elle descendit au jardin, y cueillit des pensées dont la couleur cadrait avec sa mélancolie, et les disposa dans un verre qu'elle posa sur la fenêtre.
Ce fut une journée de brouillards pour Paule, qui, ac- coudée sur la balustrade du jardin, la tête levée vers le ciel, s'irritait de l'immobilité des nuages tristes, lourds et paresseux.
La nature semblait s'associer à son dégoût de la vie. Ce jour- là l'existence pesa à la jeune fille.
La cloche de l'église de la Dalbade sonnait un enter- rement.
Paule songea combien les êtres qui disparaissent de
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la vie sont heureux. Elle aussi eût voulu échapper à ses tristesses.
De quoi souffrait-elle? Elle n*eût pu le dire; jamais pareils soucis ne s'étaient emparés d'elle.
La cloche des morts redoublait de tintements lugu- bres, appelant les fidèles à prier pour Time du défunt.
L'esprit à l'unisson de cette funèbre sonnerie, Paule monta à sa chambre , d'où elle pouvait voir défiler le cortège.
En ouvrant la porte, elle reçut une telle commotion que ses genoux fléchirent.
A la fenêtre de la maison d'en face s'épanouissaient des roses fraîchement cueillies. *
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La cloche de la Dalbade continuait son tintement lu- gubre. Un gai concert se donnait dans le cœur de Paule.
Les prêtres sortirent de l'église en chantant une sombre psalmodie. Paule écoutait les oiseaux babiller dans les platanes d'un jardin voisin.
Quand le convoi passa au bout de la rue , Paule se retira au fond de sa chambre pour oublier la mort.
— Il est doux de vivre! pensait- elle en ce moment.
Les fleurs de la fenêtre d'en face avaient transformé ses pensées en un clin d'oeil. L'odeur des roses arrivait jusqu'à elle, quoiqu'une rue la séparât du bouquet. Ses sens étaient affinés tout à coup. Les roses avaient un parfum frais et suave plein de mystérieuses promesses.
D'un bond Paule descendit .l'escalier, courut dans le jardin et cueillit des œillets avec une agitation telle que Hamette le remarqua. Paule avait hâte de remplacer le mélancolique bouquet de pensées qui ne répondait plus à l'état de son cœur. Elle n'avait pas soupçon du langage des fleurs; mais la tendre couleur d'oeillets blancs piquetés de joyeux points rouges lui semblait une réponse naturelle aux roses du voisin.
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Y a-t-il une intention dans ce bouquet? se deman- dait Paule sous le coup d'émotions diverses.
Pourtant elle se reprochait d'avoir répondu par les œillets, qui semblaient créer une entente entre elle et le jeune homme. Elle eut peur de sa propre audace. Dans quel embarras la mettrait la présence subite du voisin à la fenêtre! Alors elle redescendit au jardin, où la vieille Mamette faisait des réflexions sur la nature changeante des jeunes filles.
Tout à l'heure Paule, affaissée sur la balustrade, sui- vait mélancoliquement à l'horizon le cours des nuages; maintenant elle courait, vive et légère, dans le jardin, s' arrêtant, comme un papillon, près de chaque rosier. Elle eût voulu que la rose lui confiât son secret, le secret symbole qui gît au fond du calice; la tendre verdure des feuilles , le doux incarnat de la fleur l'enivraient sans lui répondre.
Au cœur de chaque rose était tapi le souvenir du voi- sin. Paule osait à peine passer derrière un massif de rosiers, craignant que le jeune homme n'y fût caché.
Tout à coup elle s'arrêta devant Mamette.
—Il y a un enterrement à la Dalbade, dit-elle. Quel- qu'un de nos voisins est-il mort?
— Je ne le crois pas, mademoiselle ; nous aurions vu des tentures à la porte.
— ■ 11 m'a semblé, dit Paule revenant sur son premier mensonge, que madame Falconnet était en grand deuil.
— Il est possible, mademoiselle*
— Serait-ce une personne de sa famille ?
Mamette ayant répondu qu'elle l'ignorait, alors Paule fatigua la vieille servante de tant de questions, que celle-ci s'écria :
— Votre père, mademoiselle, m'a défendu de m'oc~ cuper des affaires du quartier. Aussi, quand je sors, je
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baisse les yeux pour ne pas voir ; je ne saurais dire com- ment sont les gens porte à porte.
L'entretien en resta là, Paule craignant de montrer
Mamette une curiosité trop vive. Elle se résigna h ne rien savoir. Qu'importe! son cœur était plein de sou- venirs.
Ce jouMà elle s'endormit le sourire sur les lèvres. Les agitations de la nuit précédente avaient fait place à un sommeil léger et transparent qui permettait à la jeune fille de se voir dormir, aussi heureuse que le plongeur qoi, à travers les profondeurs de Tonde, aperçoit des trésors enfouis.
La chambre à coucher de Paule donnait sur le jardin. Réveillée de grand matin par le chant des oiseaux, la jeune fille fit sa toilette en un clin d'œil, regrettant que son premier regard ne pût s'arrêter sur la fenêtre voi- sine. Pourtant elle n'osa se rendre tout de suite h sa chambre : il lui semblait que chacun lisait son impatience dans ses yeux.
— Tu deviens matinale 1 dit Negogousse qui la ren- contra.
— Il fait si beau I dit-elle.
— • Va respirer l'air du jardin, mon enfant.
Paule profita de la sortie de son père pour l'accom- pagner jusqu'à la porte. D'un coup d'oeil elle aperçut sur la fenêtre d'en face des roses si fraîches qu'elles avaient été certainement cueillies le matin même.
— Et votre déjeuner, mademoiselle? cria Mamette, qui la voyait grimper l'escalier avec une précipitation inaccoutumée.
Paule ne l'entendit pas.
Devant la fenêtre de la maison voisine était une petite table, devant la table le jeune homme, devant le jeune homme un gros livre.
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Paule ressentit une sensation si douce qu'elle crut se trouver mal. Lentement, ses longs cils s'abaissèrent pour voiler l'émotion de ses regards ; ces cils si pudiques sem- blaient saluer le voisin. Quoiqu'un nuage rosé parti de son cœur empêchât Paule de distinguer les traits du jeune homme, elle ressentait un double émoi. Il lui semblait que de la fenêtre d'en face partait un courant qui lui faisait approcher sa table à toilette, prendre une broderie dans le tiroir et mettait en mouvement ses mains, sans sa volonté.
De doux bourdonnements tintaient dans ses oreilles. La jeune fille n'entendait rien, pas plus qu'elle ne voyait; les mouvements de son aiguille étaient commandés par une force mystérieuse, indépendante d'elle, qui faisait que machinalement les dessins de son patron de brode* rie étaient recouverts de soie comme par une fée qui conduisait sa main.
Paule se sentait touchée par de tendres regards mysté- rieux. Elle osait k peine respirer, s'efforça nt de contenir le souffle de sa poitrine. Pour n'être pas trahie par son émotion, elle gardait une immobilité absolue.
Ses mains, elle eût voulu les cacher ; mais ce à quoi elle ne pensait pas était peut-être l'endroit le plus délicat de sa beauté, celui sur lequel s'ébattait le regard du jeune homme qui, feignant de lire, détachait ses yeux du volume pour les reporter vers un cou élégant au bas duquel se jouaient de capricieuses boucles de cheveux.
Plus fines que la soie, tendres comme déjeunes pousses au pied d'un arbre, ces boucles changeaient de forme au moindre souffle du vent et formaient par leur blond déli- cat une opposition à l'ivoire transparent du cou.
Les yeux étaient baissés, les joues à demi cachées par les grappes de cheveux ; mais le joli cou révélait la dis- tinction, la santé, la jeunesse.
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Quoi qu'elle fit, Paule ne pouvait masquer entière* meut sa bouche rose et mutine qui semblait se gen- darmer que sa maîtresse fût tant regardée.
Par moment une ombre de sourire, qu'eût voulu com- primer la volonté, se dessinait sur ses lèvres, sourire témoin des sensations qui se jouaient au dedans de Paule. L'inquiétude s'y mêlait à uue sorte d'enjouemeut produit par la situation où se trouvait la jeune fille.
Qui l'avait conduite à la fenêtre, sinon une pression mystérieuse dont jusque-là elle n'avait pas éprouvé la force? Fallait-il compter sur cette aide inconnue pour sortir d'embarras?
— U va mal penser de moi ! se disait Paule effrayée de l'audace avec laquelle elle s'exposait à tant de regards.
Un rayon de soleil vint à son secours.
Le ciel, jusque-là voilé par des nuages épais, se mon- tra tout à coup dans sa pureté, et le soleil se précipita dans la petite chambre, forçant Paule à tirer la moitié du rideau pour s'en garantir.
La nature semblait prendre sous sa protection les deux jeunes gens, car à peine Paule fut-elle à demi masquée par le rideau qu'un bruit de serrure, qui partait de la chambre d'en face, fit lever la tête à la jeune fille, quoi- qu'elle eût juré intérieurement de ne pas se montrer davantage. Les regards se croisèrent encore une fois; mais ceux du voisin étaient pleins de regrets.
U baissa la tête, en manière de salut; et comme la porte d'en face s'ouvrait, laissant sur la figure du jeune homme des traces non équivoques de contrariété, Paule, penchée sur sa broderie, resta l'aiguille inerte sans s'en apercevoir.
11 l'avait saluée!
Ainsi le hasard seul ne les mettait plus en présence. C'était comme une promesse de se revoir. A l'émotion
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dont le cœur de Paule fut rempli, la jeune fille se dit qu'il y avait maintenant en elle un germe qu'il serait difficile d'arracher.
Quelque chose d'indéfinissable lui avait manqué jus- que-là qui avivait ses facultés en teintant de nuances pourpres des horizons un peu gris.
Trois figures se présentèrent à Paule tour à tour : celles de son père, de l'abbé Desinnocends et de Màmette, toutes trois semblant l'interroger.
Paule ferma les yeux pour échapper à ces vision». Elle se retranchait derrière de splendides rayonnements, comparables à ceux d'une rose de vitraux, à travers la- quelle passent les pourpres lueurs d'un soleil couchant.
Par instants, Paule sentait s*n corps flotter sur des vagues irisées ; son âme s'envolait sans fatigue, comme l'oiseau, vers des pays inconnus qui n'étaient que bocages et verdure. Enivrée d'une musique suave, en ce moment Paule ne se rendait pas compte de la petite chambre où elle était non plus que de la broderie tenue par ses mains.
Ces dangereuses contemplations devaient être traver- sées par plus d'un événement.
IV