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HISTOIRE
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BARTHÉLEMY HAURÉAU
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PARIS JULIEN, LANIER ET C°, ÉDITEURS
4, RUE DE BUSSY
Imprimeurs-Libraires au Mans
1852
UINTOIRE LITTERAIRE DU MAINE.
BAYF (LAZARE DE).
Les sieurs de Bayf, famille ancienne d'Anjou, ha- bitaient le château des Pins, près la Flèche , et pos- sédaient, au Maine, les terres seigneuriales de Verneil- le-Chétif et de Mangé. Ils portaient de gueules à deux léopards d'argent l'un sur l'autre, en chef de même (1). |
Fils de Jean de Bayf, qui s'était signalé sous es ar- mes, « magni nominis equite (2) » et de noble dame Marguerite Chasteignier de la Roche-Posay (3), LAZARE DE BAYF nait aux Pins, vers l’année 1490. Il em- brasse d’abord, dit-on, l’état ecclésiastique. Il vient ensuite à Paris, où nous le voyons, âgé de vingt ans
{1) M. Cauvin, Essai sur l’Armorial du diocèse du Mans.
(2) Elogia Scæœvolæ Sammarthani. :
(3) Ménage, Remarques sur 1a vie de Guil. Ménage, pag. 193. . III I
2 LAZARE DE BAYF.
environ, assister aux séances du Parlement. C’est là qu'il fait la rencontre de Christophe de Longueil, et que, cédant à ses conseils, il laisse l'étude de la juris- prudence et court à Rome, où il va, dit-il, se former l'esprit (1). De retour en France, Lazare de Bayf re- çoit de François [°° l'accueil que ce prince faisait à tous les gentilshommes qui manifestaient du goût pour les lettres; il est prié de venir à la cour et d’y occuper l'emploi de protonotaire, en attendant qu'il y ait une vacance dans les ambassades.
Dès l’année 1529, Lazare de Bayf fut désigné pour aller représenter la France près de la seigneurie de Venise, et Jean du Bellay, qui était à Londres, crut devoir le recommander en ces termes au maréchal de Montmorency : « J'ay entendu, Monseigneur, qu’on envoye le prothonotaire de Bayf estre ambassadeur à Venize. Je vous promets que quiconques en aura faict élection n’y aura deshonneur, et que mais qu’il aytun peu passé par l'estamine des affaires, il sera bien pour faire bon service au roy (2). » Nous ne sa- vons pour quel motif son départ fut alors ajourné; mais on s'accorde à dire qu'il ne se rendit pas à Venise avant l’année 1531. Interrompons un instant notre récit pour laisser raconter les commencements de la vie de Lazare de Bayf par son fils Jean-Antoine :
Ce mien père angevin , gentilhomme de race, L'un des premiers François qui les Muses embrasse,
(1} Ces renseignements se trouvent à la fin du Traité de Lazare de Bayf De re Vestiaria.
(2) Lettre de J. du Bellay à M. de Montmorency, du 15 juin 1529. Manuscrits de Bethune , n° 8,603. { Bibl. du roi. )
LAZARE DE BAYF. s
D'ignorance ennemi, désireux de savoir, Passant torreus et monts, jusqu’à Rore alla voir Musure (1), Candiot, qu’il ouit pour apprendre Le grec des vieux auteurs et pour docte s’y rendre : Où si bien travailla que , dedans quelques ans, Il se fit admirer et des plus suffisans.
; Docte il revint en France, et comme il ne désire Rien tant que le savoir, en Anjou se retire Dans sa maison des Pins , non guère loin du Loir, À qui Ronsard devoit si grand nom faire avoir. Ce bon Lazare là, non touché d’avarice, Et moins d’ambition, suit la muse propice , Et rien moins ne pensoit que venir à la court, Quand un courrier exprès à sa retraite court Le sommer de la part du grand roi qui le mande, Et le venir trouver sans refus Jui commande. Qu'ust-il fait? devoit-il au repos s'amuser Où vivoit si content ? pouvoit-il refuser Son roi qui le mandoit? C’est un pauvre héritage De croupir au savoir, sans le mettre en usage. Il se range à son roi, qui ne le renvoya, Mais l’ouit et le chérit , et bien tost l’employa (2)...
Les Etats de Venise étaient alors alliés à la France. Menacés dans leur indépendance par les entreprises de Charles-Quint, ils avaient enfin compris que leur
(1) Mare Musurus , né à Candie, enseigna le grec à Venise et à Rome, avec une grande réputation. 11 mourut en 1517, avec le titre d’archevêque de Malvasie, en Morée. On a de lui plu- sieurs ouvrages très-estimés. |
(2) Nous regrettons de ne pouvoir consacrer une notice spé- ciale à l’auteur de ces vers. Il n’est pas né dans le Maine, mais dans les états de Venise, durantl’ambassade de son père. Lazare de Bayf, qui n’était pas marié , eut à Venise une intrigue galante avec une demoiselle de condition, et de cette union illégitime naquit Jean-Antoine de Bayf (Ménage, au lieu cité.)
4 LAZARE DE BAYF.
véritable ennemi n’était pas au-delà des Alpes, et ils étaient entrés avec le Pape, les Florentins et les Suisses, dans la sainte ligue conclue à Cognac, en l’année 1526. Quand, au mois de décembre de l’année 1531, Lazare de Bayf vint remplir, à Venise, les fonctions d'am- bassadeur., les rois de France et d'Espagne so prépa- raient à de nouveaux combats, mais ils ne voulaient manifester l’un et l’autre que les intentions les plus pacifiques. On se préoccupait surtout, en Italie, de l'approche des Turcs, qui, ayant pénétré dans la Hon- grie et dans la Dalmatie, menaçaient déjà les posses- sions vénitiennes. Dans sa correspondance avec le roi, avec les principaux officiers de la couronne, avec l'ambassadeur de la France dans les Etats de Rome, l’évêque d'Auxerre, Lazare de Bayf parle sans cesse des alarmes que les progrès des Turcs causaient à Venise, durant les années 1531 et 1532. Il ne dissimule pas, d’ailleurs, que la cour de Rome exagère à des- sein la gravité du péril, et ajoute elle-même à l'in- quiétude des populations, en faisant répandre des bulletins et des bruits mensongers. Dès le 26 jan- vier 1531, Lazare de Bayf écrivait à l'évêque d'Au- xerre : « Monseigneur, je vous diray bien que l'on faict en ceste ville quelque remontrance d'avoir paour de la venue du Turcq, mais je me doubte fort que ce soit pour avoir occasion de tirer argent de leurs sub- jects ; et Dieu voulsist que ainsy fust (1)! » Outre cette raison fiscale, les cardinaux romains et les seigneurs de Venise avaient un autre motif pour faire montre
(1) MS. de la bibliothèque du Roi, collection Dupuy, sous le n° 265. |
LAZARE DE BAYF. bi:
d'une vive terreur : ils désiraient fort éloigner des champs de l'Italie les Français, les Espagnols et les Impériaux, et associer dans un intérêt commun les deux princes, rivaux de puissance et de gloire, qui n’attendaient qu’un prétexte pour déchirer le traité de Cambrai. Il était vrai, toutefois, qu’on faisait alors, à Constantinople, des armements considérables, et que les Vénitiens devaient exercer une surveillance active sur leurs frontières. Après quelques mois de séjour à Venise, Lazare de Bayf partagea lui-même, comme ses dépêches nous le témoignent, les craintes des mar- chands de cette ville. Il n'eut pas à traiter, durant les années 1532 et 1533, de ces grandes affaires qui font la réputation d’un négociateur ; le principal objet de sa mission fut de maintenir en de bons rapports le roi de France et la Seigneurie de Venise, et de déjouer les intrigues des agents de l'empereur. Il y réussit. Pour le récompenser de ses services, le roi lui donna plusieurs abbayes, entre autre celles de Charroux et de Grenetière. Les produits de ces bénéfices étaient vraisemblablement le plus net des émoluments de sa charge, car il écrivait à l'évêque d'Auxerre le 20 fé- vrier 1532 : « Monseigneur, touchant l'abbaye qu'il a pleu au roy me donner, comme je croy que aurez sceu , je vous prye qu'il vous plaise me ayder envers nostre Saint-Père et ceulx qui auront la charge du négoce , que Je ne paye rien de la composition et annate, car je suis icy en une grosse despense.…. » Lazare de Bayf quitta Venise dans le cours de l’an- née 1533. Il fut ensuite chargé de diverses négociations en Es- “pagne et en Allemagne (1540), où il fut envoyé pour
6 LAZARE DE BAYF.
assister à la diète de Spire. [Il avait près de lui, dans ce voyage diplomatique, le jeune Charles Estienne et le cadet d’une maison du Bas-Vendomois dont la tu- telle lui avait été confiée ; ce jeune homme, alors âgé de seize ans à peine, était Pierre de Ronsard (1).
La conduite que tint Lazare de Bayf dans ces di- verses ambassades, lui mérita les titres de conseiller au Parlement (1533), et de maitre des requêtes ordi- naire en l'hôtel du roi (1541). En l’année 1543, il habi- tait, à Paris, le quartier de l’Université, remplissait auprès du roi ses fonctions de maître des requêtes , et employait tous ses loisirs aux travaux littéraires qui ont placé son nom parmi ceux des illustres créateurs de la prosodie française (2). Ronsard, qui demeurait
(1) Vie de P. Ronsard, par Cl. Binet. — Oraison funèbre de Ronsard , dans le tom. 1x de ses OEuvres, édit. de 1630.
(2) Salmon Macrin (ou Megret) nous apprend que les nou- veautés poétiques de Lazare de Bayf rencontrèrent des censeurs :
Lumen supremæ Lazare curiæ, Legationis munere regiæ Qui functus, æternum reportas Patribus a Venetis honorem,
Turbæ imperitæ barbara factio Quid moliatur providus aspicis , Quantoque conspiret furore Artium in interitum bonarum.
Quod ni patronum res te Heliconia Gignata fortem et vindice ni manu Tutere, lorica trilicique Ejus opes prope dissipatas :
De disciplinis ilicet omnibus Quas liberales jure bono vocant Utraque de lingua sit actum, et Parisiæ studiis Minervæ..…
S. Macrin, Hymn. Lib. IE
LAZARE DE BAYF. 1
aux Tournelles, venait lui rendre de fréquentes visites et profitait des leçons que Jean Dorat donnait au fils du docte conseiller, Jean-Antoine de Bayf, qui devait être une des constellations de la fameuse pléiade. On compte Lazare de Bayf au nombre des huit maîtres des requêtes qui assistèrent, en 1547, aux funérailles de François Ier. Il mourut peu de temps après, la même année que ce prince. Ronsard fit son éloge funèbre dans les vers suivants :
A CALLIOPE.
Si les Dieux Larmes d'yeux Versent pour la mort d’un homme, A ceste heure, Dieux , qu’on pleure Et qu’en deuil on se consomme !
Calliope Et ta trope Bayf chantez en voix telle, Que sa gloire Par mémoire Soit saintement immortelle !
En maint tour, À l’entour, Du cercueil croisse lierre! Nuit et jour, Sans séjour,
A l'ignorance il eut guerre. L'excellence De la France Mourut en Budé première 3
8 LAZARE DE BAYF. Et eneores
Morte est ores Des Muses l’autre lumière! (1)
Les œuvres de Lazare de Bayfse composent de trois . petits traités sur les vêtements, les vases et les navires des anciens, de plusieurs traductions en vers, de quelques poèmes et de sa correspondance diploma- tique.
Le traité sur les vêtements des anciens est le pre- mier ouvrage de Lazare de Bayf : il y travailla durant le voyage qu'il fit à Rome avec Christophe de Lon- gueil. Voici le titre de cet opuscule, dont la première édition parait être celle de Basle, 1526, in-#° : Laz. Bayfii Annotationum in L. vestis FF. de auro et ar- gento legato liber. Il est dédié à Jean, cardinal de Lorraine. On peut apprécier quel en fut le succès, par le nombre des éditions qu'il obtint dans l’espace de quelques années. Nous désignerons celles de Basle, 14531 et 1537, Froben, in-4°; de Paris, 1535, 1536, 1541,1547, 1549; de Leyde, 1536. Georges Grœvius a réimprimé ce traité, dans le tome VI de son Thesaurus Antiquit. Romanarum. Les savants le consultent encore. |
C’est au retour de son ambassade à Venise que Lazare de Bayf donna ses traités sur les vases et sur les navires anciens. Le traité de Vasculis, dédié par l'auteur au chancelier Antoine du Bourg, parut pour la première fois, en 1536, à Paris et à Lyon; on en connaît une autre édition de Paris, 1547, in-8 : il se trouve encore dans le tom. IX du Thesaurus Græ&car.
(1) OEuvres de Ronsard, t 1x, p. 641 de l'édit. de 1630.
LAZARE DE BAYF. 9
Antiquitatum de Gronovius. Le traité sur les navires a pour titre: Annotationes in L. IT de captivis et post- liminio reversis; Paris, 1536 et 1549, in-4°; Lyon, 1537, in-£. Gronovius l’a inséré dans le tom. XI de son Re- cueil. Dans le temps où Lazare de Bayf publiait cet ouvrage, Etienne Dolet achevait, à Lyon, son livre De re navali. Il parait qu’il mit à profit les recherches de Bayf, et dissimula ses emprunts. Cette conduite peu loyale fut vivement censurée par un des amis de Bayf, ou peut-être par lui-même. Dolet se défendit le mieux qu’il put.
Ces divers traités de Lazare de Bayf furent, pendant longtemps, fort goûtés. Lefebvre de la Boderie les a mentionnés dans sa Galliade:
Lazare de Bayf qui, au temps oublieux, As doctement ravy les vestements des vieux, Et recherché les noms et toute la fabrique Des nauz et nautonniers et de tout l’art nautique. (1).
Les traductions de Bayf ont été estimées, mais n'ont pas eu toutefois autant de succès que ses traités. Nous parlerons d'abord de sa traduction littérale de l'Electra de Sophocle, publiée sous ce titre : La tra- gédie de Sophocles intitulée Electra, contenant la ven- gence de l’inhumaine et très-piteusemortd’Agamemnon, roy de Mycènes; Paris, Roffet, 1537, in-8. On ne savait guères alors ce que c'était qu’une tragédie : aussi l'auteur crut-il devoir donner de ce terme la définition suivante, qu’on trouvera sans doute fort
(1) Galliade, cercle 1°, p. 32. I1 y a des éditions des trois traités de Bayf réunis sous ce titre : De re vestiaria, vascularia etnavali; Paris , 1538 et 1553, in-8 ; Basle , 1541, in-4°.
40 LAZARE DE DAYF.
singulière : « Tragédie est vne moralité composée des grandes calamitez, meurtres et adversitez survenues aux nobles et excellentz personnaiges, comme Ajas qui se occist pour avoir été frustré des armes d'Achilles, Oedipus qui se creva les yeulx après qu'il luy fut dé- clairé comme il avoit eu des enfans de sa propre mère, après avoir tué son père; et plusieurs autres sem- blables. Tant que Sophocles en a escript six vingtz : entre les quelles est ceste présente, intitulée Electra, pourcequ’elle y est introduicte, et y parle tant bien et virilement que vng chascun s’en peultdonner merveille. Euripide aussi et plusieurs aultres ont composé pa- roilles tragédies. Et la grace d'icelles a anciennement si bien régné, que les roys et princes se mesloyent d'en composer, mesmement Dionysius, roy de Sicile, et Hérodes, roy des Perses, et assez d’aultres. » La tra- duction d’Electra, par Lazare de Bayf, est loin d'être élégante. Nous ne pouvons la recommander, mais comme les exemplaires en sont devenus très rares, nous en citerons un fragment. Electre, s'adressant à ses suivantes, les entretient en ces termes des chagrins qui l’accablent :
Fort grand vergogne j'ay, Ô vous femmes d'honneur, Si me pensez foiblette à porter ma douleur, Et trop estre excessive ès lamentations ; Mais force m’y contrainct et mes affections. Hélas ! pardonnez-moy, car com possible est-il Que fille de maison et de cueur vray gentil Ne face comme moy, s'elle veoit à l'œil Les grandz pernicions du père dont j'ay dueil, Lesquelles veoy de jour ct de nuict pulluler, Sans dessecher en rien, dont fault braire et huller.
LAZARE DE BAYF.
Premièrement, à moy, la mère qui m'a faicte Me hait et veult grand mal , et me vouldroit deffaicte ; Après, en ma maison je viz et si fréquente Avesques les meurtriers , et contre mon entente D’eulx je suis impérée , et fault que preigne d’eulx Ce que m'est de besoing , soit chair, vin, pain et œufz.
Outre plus , cuydes-tu que bon jour puisse avoir Quant me fault Egistus assis au siège veoir, Au siège paternel , et le veoir attourné De robe et vestemens dont fut jadis aorné ? Le veoir boire aux vaisseaux , tasse , couppe ou calico, Où mon père buvoit en faisant sacrifice ? Le veoir sacrifier et célébrer aux Dieux Où le meurtre fut fait et en ces propres lieux ? Le veoir au lict couché , luy meurtrier de mon père, { Le comble du malheur ! | ensemble avec ma mère ? S’ainsi fault appeler tant malheureuse femme Qui couche avec vng tel , sans penser estre infâme, Et la veoit-on avoir tant d'impudence en soy Quel hante le meurtrier sans en estr’ en esmoy ; Sans craindre aulcunement d'Erynnis la vengence, Le jour qu’il fut tué fait dresser une danse, Et immole brebiz aux Dieux conservateurs, Tousjours par chascun moys , affin qu’ilz soyent tuteurs De toute leur mesgnie, et fait dérision Du meurtre perpétré par telle occasion.
Et je, qui veoy cela, je, pouvre infortunée, Larmoyant me tourmente , au grenier mal menée, Du malheureux festin, que repas on appelle Qu’à mon père fut fait, et si fault que me celle : Car il ne m'est permys de plorer à plaisir Et ma mère ne veult m'en donner le loysir.
La vaillante me dit ainsi, par grande injure :
41
LAZARE DE BAYF.
« O hayne contre Dieu, en toy seule est la cure
» De la mort de ton père , et nulluy deul n’en porte,
» Fors toy ; je prie à Dieu qu’en brief te veoye morte, » Et les Dieux infernaulx , après estre périe,
» Ne veuillent de ton cueur oster telle crierie. »
Telle injure me faict, mais s’elle oyt la nouvelle Qu’Orestes doibt venir, alors el n’est plus telle ; Ains crie contre moy, enragée à demÿ :
« N'est-ce pas toy qui es cause de tout cecy ?
» N'est-ce pas ton chef-d'œuvre ? or, tu seulle envahys » Oreste de mes mains et transmys hors pays ;
» Mais saches pour certain que la peine en payeras ;
» Puis que j'en ai soucy, tule mal en auras. »
Et ainsi me rechigne , et son mari faschant, L’exhorte de ce fait, le plus de tous meschant, L'injure d’ung chascun , l’infime des plus bas, Qui veult avoir secours des femmes ès combats. Mais je, pouvre, péris, Orestes attendant, Et seiche sus le pied (comme il est évidant ) Pensant que son retour sera le sédateur De mes maulx ; mais je voy qu’il n’est qu’un cunctateur, Son « je viendray » me mect du tout en désespoir Et l'espoir me tollist lequel pourroys avoir...
Cette citation est plus que suffisante. Nous mention- nerons sommairementles autres traductions de Lazare de Bayf. La plus estimée est celle de l’Hécube d'Eu- ripide : La tragédie d'Euripide intitulée Hécuba, traduicte du grec en rythme francoise ; Paris, 1544 et 1550, Rob. Etienne, in-8. La Croix du Maine et Du Verdier ont parlé de ces deux traductions, mais ils ne paraissent pas avoir connu le Ravissement d'Europe, œuvre posthume de Lazare de Bayf, éditée en 1552,
LAZARE DE BAYF. 43
in-8, ‘par la veuve Maurice de la Porte. Au témoi- gnage de Du Verdier, lorsque la mort vint surprendre Lazare de Bayf , il traduisait les Vies de Plutarque, et son manuscrit inachevé fut déposé dans la biblio- thèque royale de Fontainebleau.
Lazare de Bayf est encore auteur de petits Poèmes, d'Épitaphes et de Ballades. Les vers suivants, adressés à Éléonore d'Autriche, sœur de Charles-Quint, se rendant en France pour épouser François Ier, seront assurément mieux goûtés que les traductions du même auteur : |
BALLADE PRÉSENTÉE À LA ROYNE, EN ESPAIGNE.
Or est le temps et la joyeuse année, Princesse illustre et de bonne heure née, Qu'il est permis de divine ordonnance Qu’avecques vous paix nous soit amenée : Et quant et quant nostre noble lignée,
Les deux fleurons où gist nostre espérance. O quel plaisir, o quelle esjouissance , France , qui n’a première ne seconde, Aura de veoir, en sa terre féconde,
Royne et enfans! Bien doibt crier Montjoie, Vous appelant d'affection profonde,
Tant que la voix jusqu'au ciel en redonde, Rabat de dueil et ressource de joye.
D'infinis biens serez environnéo, Et obtiendrez couronne fleuronnée Du hault blason qui du ciel prind naissance. Chascun dira : Dieu la nous a donnée Et bonne et belle; ainsi l’a ordonnée A nostre roy d’invincible puissance. Ses mère et sœur nous feront assistance,
14
Les dépèches diplomatiques de Lazare de Bayf for- meraient un recueil considérable, si elles étaient toutes publiées. On ne connait guères que celles qui furent éditées, en 1619, par le chanoine Nicolas Camusat, dans ses Mélanges historiques (1). Elles sont au nombre de dix-neuf, toutes adressées à l'évêque
LAZARE DE BAYF.
Esquelles deux tout le thrésor se fonde D'honneur et sens qui en ce siècle abonde : Dont louerez Dieu qui nous guide et convoye En compagnie à nous qui corresponde ,
Où vous vivrez en amour pure et monde, Rabat de dueil et ressource de Joye.
De bons prélats l'Eglise accompaignée, Et dignement de reliques ornée, Vous recevra en doulce resonnance De devots chants, la face à Dieu tournée. Noblesse après , à vous tant addonnée, Commence jà fourbir harnois et lance Pour devant vous tournoyer à plaisance. Puis, franc Gontier, qui de plaisir débonde, Laissant brebis , sa panetière et fonde, S'en veult aller danser soubz la saulsaye, Et par la main tient Helène la blonde, En lui disant : nous aurons, qui qu’en gronde, Rabat de dueil et ressource de joye.
Royne sans per, doulce, humaine et faconde, Ung frère avez qui tient la pomme ronde, Et vous serez {il faut bien qu'on le croye), Femme à ung roy le plus grand de ce monde. Dieu vous forma soubz planette féconde Rabat de dueil et ressource de joye.
{1} Deuxième partie, p. 143.
LAZARE DE BAYF. 45
d'Auxerre : la première porte la date du 10 dé- cembre 1531, et la dernière celle du 15 janvier 1533. Elles ne contiennent pas de renseignements curieux.
Ces lettres, dont Camusat avait les originaux entre les mains, ne sont, toutefois, qu’une partie de celles qui, dans le même espace de temps, furent adressées par Lazar@e Bayf à l’évêque d'Auxerre. Dupuy en a recueilli vingt autres, écrites du 25 janvier 1531 au 6 février 1533, qui se trouvent aux manuscrits de la Bibliothèque du roi, sous le n° 265 de la Collection Dupuy. Ce sont les missives originales; elles portent presque toutes la signature de Lazare de Bayf. Nous les jugeons encore moins intéressantes que celles dont nous venons de parler. Si l'on n'avait que ce fragment de sa correspondance, on pourrait croire que l’am- bassadeur du roi de France près la révérendissime Seigneurie, s’occupait uniquement, à Venise, de ses affaires personnelles et considérait celles de l'Etat comme étant de moindre importance.
Mais ces lettres de Bayf collationnées par Dupuy, ne sont pas les seules que possède la Bibliothèque du roi. Dans un recueil, inscrit sous Je n° 2,113 au nombre des précieux manuscrits de la bibliothèque Colbert, et qui porte aujourd’hui le n° 8,627, se trouvent en- viron deux ou trois cents dépêches attribuées par Baluze à notre Lazare de Bayf. Ce ne sont pas des originaux, mais des copies. Nous citerons une de ces lettres encore inédites : ;
SIRE ,
« Ayant trouvé la commodité de ce gentilhomme qui s’en va en dilligence en Angleterre ambassadeur pour le pape, n’ay voulu
16 LAZARE DE BAYF.
obmettre de vous escripre par luy les présentes , nonobstant que vous aye escript des 8 et 13 de ce moys, pour faire scavoir que j'ay esté adverty que Michael Angelo, excellent peintre, voyant le danger de Florence , s’est retiré en ceste ville et ne se monstre point, car il n’y veult pas faire sa demeure. Et croy fermement que si l’on luy offre quelque bon parti en vostre nom, il seroit pour l’accepter. Vous scavez l'excellence du personnaige en son art. S’il vous plaist le retirer {1}, en me faisant scavoir j'en feray mon effort , et ce pendant n’obmettray de chercher le moyen à le prac- tiquer, estant asseuré que ce faisant vous feray service, qui est la chose du monde que plus désire. Du 14 octobre.
Bayf connaissait bien François [°'; il savait que rien n’eût plus flatté ce grand prince qu'une visite du sculpteur Michel-Ange ! Tel était le respect qu’on avait alors pour le génie, à Fontainebleau, à Rome, à Madrid , à Constantinople, car Soliman lui-même, à l'exemple des plus grands rois de la chrétienté, se fit représenter par ambassadeur dans l’atelier de l'illustre Florentin! La négociation conduite par Lazare de Bayf neut pas le résultat qu’il en avait espéré. Michel-Ange ne se décida pas à quitter l'Italie.
Outre les lettres de Bayf qu'on peut lire au n° 265 de la collection Dupuy et dans les manuscrits pro- venant de la bibliothèque de Colbert, on en rencontre six autres encore dans les manuscrits de la bibliothèque de Béthune. Ces lettres, adressées au roi, à M. de Montmorency et à M. de Villandry, se trouvent dans les recueils 8,510 p. 88, 8,570 p. 19, 8,575 p. 63, 8,601 p. 131, 8,606 p. 36, et 8,621 p. 68.
(1) L’appeler à vous.
: JULIEN DE DAÏF. 47 BAYF (JULIEN DE).
Nous lisons dans La Croix du Maine : « JULIEN DE BAÏIF , gentilhomme du Maine, prothénotaire du saint Siége apostolique , chanoine en l’église du Mans, seigneur d'Espineu-le-CUhevreuil, au Maine, parent de Lazare de Bayf, sieur des Pins en Anjou. Ledit Julien de Baïf estoit homme docte et de grand jugement. Je ne sçay sicest celuy duquel il se voit un discours de son voyage en Hiérusalem; car cettuy-cy chanta sa première messe au saint Sépulcre dudit lieu : mais pour ce qu'ils ont été cinq frères de ce nom de Baïf qui ont voyagé en Hiérusalem, je ne puis asseurer si ç'à esté cettuy-cy qui a composé ledit voyage. Et faut encores noter icy une chose très admirable et bien digne de remarque; c’est qu’il y a eu cinq frères de cette maison de Baïf, lesquels se trouvèrent en Hiéru- salem sans que pas un d'eux eust donné advertis- sement de partir pour y aller, et tous s’acheminèrent sans le sçeu l'vn de l’autre. J'ai entendu qu'il y avoit en l'abbaye de Saint-Calais et autres lieux vn tableau faisant mention de cette histoire , mais elle ne s’y voit plus, à cause que les troubles et séditions advenues pour la religion ont causé ces ruptures et brisemens d’églises , et par conséquent ce qui estoit de beau et de mémorable en icelles. Or, pour revenir au propos dudit sieur d'Espineu, Julien de Baïf, je n’ay point cognoissance d'autres de ses escrits; toutefois j'ay opinion que ce voyage de Hiérusalem aye esté com- posé par iceluy. Il se voit escrit à la main chez Mon-
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18 ._ OLIVIER DE CUEILLY.
seigneur de Malicorne, messire Jean de Chourses, son parent, en sa terre de Mengé, au Maine et autres lieux et seisneuries qu’il possède... Il florissoit en l’an de salut 1519.»
Nous ne saurions rien ajouter à cet article, si ce n'est que le nom de Julien de Baïf se trouve parmi ceux des exécuteurs testamentaires du cardinal Philippe de Luxembourpg.
CUEILLY (OLIVIER DE).
OLIVIER DE CUEILLY ou pe CUILLY, né, suivant Echard, dans le diocèse du Mans, vers le milieu du XVIe siècle, fit profession de la règle de saint Domi- nique au couvent de Laval. Admis ensuite au collége de la rue Saint-Jacques, à Paris, il y suivit les cours de la Sorbonne. Les registres de la Faculté portent qu'Olivier de £ueilly fut, en l'année 1602, chargé de mettre d'accord les élèves du collège de Navarre et le prieur dela Sorbonne, qui prétendait confisquer leurs priviléges (1). Notre Jacobin parut dans un grand nombre de chaires, et passa pour un sermonaire élo- quent. Echard croit qu’il mourut vers l’année 1620.
On connait de lui deux ouvrages. L'un a pour titre: Morale interprétation sur les premiers chapitres du prophète Ezechiel; Paris, Huby, 1611, in-8. Olivier
(1} Echardus, Script. ord. Prædicat., t. 11, p. 420.
JACQUES-CASIMIR GUERINOIS. 49
de Cueilly était prieur du couvent de Laval, lorsqu'il publia cette verbeuse paraphrase ; il en adressa la dédicace à Lancelot de Vassé, dont la famille lui avait rendu des services. L'autre ouvrage d'Olivier de Cueillv mentionné par Echard, est composé d'une série de discours, rassemblés par l'auteur sous ce titre pré- cieux : Les fléaux de Dieu sur les hommes, avec les remèdes quon y doit apporter; Paris, Huby, 1613, in-8.
GUERINOIS (3ACQUES-CASIMIR ).
JACQUES-CASIMIR GUERINOIS, né à Laval en 1640 fut admis au couvent des Dominicains de cette ville , le 16 novembre 156. Il n'avait encore acquis aucune connaissance littéraire , mais il manifestait d'heureuses dispositions. Il eut bientôt appris les éléments de la langue latine, et, à peine âgé de quinze ans, il vint faire son noviciat à la maison de la rue Saint-Jacques, à Paris. À seize ans, Guérinois fit profession de la règle de saint Dominique, et fut envoyé dans la province de Toulouse, pour y achever ses études. Nous le voyons ensuite, en 1681, reçu professeur de théologie à Bordeaux, occuper unc chaire dans cette ville et par- venir enfin au grade de docteur, le 18 juin 1683. Il professa pendant vingt années, et mourut, à Bordeaux, le 24 septembre 1703.
On a de lui quatre gros volumes de philosophie sco- lastique, dans lesquels il ne ménage pas les cartésiens.
20 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
Ils portent ce titre : Clypeus philosophiæ Thomisticæ contra veteres et novos ejus impugnatores; Burdigalæ, 1703, in-8o (1).
LEMAIGNAN (couis).
LOUIS LEMAIGNAN, né au Mans en 1626 et mort en 1711 dans cette ville, avec la renommée d'un très habile professeur, a Gonné au public : Grammaticæ Despauterianæ prima pars vernacula lingua edita, cum interpretatione lineari per D. Lemaignan. Nous ignoronsla date de la première édition de cetouvrage; la seconde fut publiée au Mans, en 1692, in-8, par Louis Peguineau. Parmi les vers adressés à Trouillart, en 1643, sur ses Mémoires des comtes du Maine, il y ‘ena qui sont signés par un sieur N. Lemaignan. Est-ce le père de notre grammairien ? |
AUBERY DU MAURIER (BENJAMIN).
Jacques Aubery, sieur de Montcreau, avait un frère ainé, Pierre Aubery, sieur du Maurier, lequel fut père de Jean Aubery, mort en sa terre du Maurier, près la Fontaine-Saint-Martin, en l’année 1585. De ce Jean Aubery et de Madeleine Froger, naquit BENJAMIN AUBERY, qui fut célèbre dans les ambassades.
(1) Echardus, Script. ord. Prædic., t. 11, p. 762.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 24
_ À quelle époque de sa vie, Benjamin Aubery, sieur du Maurier, renonça-t-il à la foi catholique pour embrasser la religion de Calvin? Nous l’ignorons; mais nous le voyons, dès l’année 1593, fort avant dans les affaires des Huguenots , et entretenant avec Duplessis- Mornay une correspondance fort active. Il était alors secrétaire de Henri de la Tour, duc de Bouillon, maréchal de France. Sa première lettre est datée de Mantes, 8 mai 1593 (1). Le duc de Bouillon, l’un des chefs calvinistes, s’était rendu dans cette ville pour lutter contre l'influence des princes et des gentilshommes du parti contraire, qui travaillaient ardemment à la conversion d'Henri IV. Il y a, dans la lettre d'Aubery, des passages écrits en chiffres; ce sont vraisembla- blement les plus intéressants, mais nous ne les com- prenons pas. Cette affaire de l’abjuration intéressait au plus haut point Duplessis-Mornay : il écrivait à ce sujet, le 25 mai, au sieur du Maurier : « Je vois ung changement qui en peult attirer d'aultres. Num fas- tigium putas? gradus est. Certes je suis bien aise de n’avoir poinct esté là {à Mantes) ; car il m'est plus aisé de respondre de mon absence qu’il n’eust esté de ma présence (2). » Mais vainement Duplessis et les siens exhortaient Henri à persévérer dans ses opinions reli. gieuses ; la raison d’état parlait plus haut que ces vieux serviteurs. Une lettre d’Aubery, de juin 1593 (3), est pleine d’affligeants détails mystérieusement racontés.
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; Paris, Treuttel et Wurtz, 1824, in-8°, t. V, p. 410
(2) Ibid., p. 429. (3) Ibid., p, 469.
22 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
Nous ne cherchons pas à pénétrer dans ce dédale de chiffres , de périphrases obscures et d’allusions qui ne le sont pas moins. Duplessis répondait plus claire- ment, le 5 juillet, au sieur du Maurier : « Nous sommes Jà vaincus et jà rendeus… tandis que la guerre avec la Ligue tient encores nos ennemis en bride et facilite nos conditions, advisons que ceulx desquels Ja violence a peu forcer l’ame du roy, n’ayent nos vies à leur dis- crétion (1). » Henri signait l’acte de son abjuration le dimanche 95 juillet, à Saint-Denis.
Cet événement ne dut causer aucune surprise, caril était prévu. Cependant telle était l’agitation des esprits, qu'on s'attendait tous les jours à quelque nouveau tumulte. Le Parlement siégeait alors à Tours ; le jour même où se faisait, à Paris, la cérémonie de l’abju- ration, on annonçait que le duc de Guise avait été proclamé roi de France par les Parisiens, et du Mau- rier, consterné par cette nouvelle, s’empressait de la transmettre de Tours à Saumur, à Duplessis-Mornay (2). Le #4 août, il était à Saint-Denis, et, ne croyant pas à une longue suspension d'armes, il invitait Duplessis à presser l’achèvement des fortifications de Saumur (3). Duplessis, qui avait la même opinion que lui sur l’état des choses, lui répondait le 10 août : « L’insolence croist d’ung côté et la patience eschappera en quelque endroict de l’autre. Ici non; où je tiendrai le contre- poids tant que je pourrai. » Cependant les intrigues se
(1) Mémoires et Correspondance de Du lessis-Mornay ; Paris ; Treuttel et Wurtz, 1824, in-8°, t. V, p. 485.
(2) Ibid., p. 498. (3) bid., p. 504.
BENJAMIN AUBERY DU MAUHIEY. 23
Croisent, et du Maurier écrit de Tours à Duplessis, pour l'informer des motifs divers qui ajournent une nouvelle crise (1). Le roi sait que Duplessis n’ap- prouve pas son abjuration , et veut se justifier devant lui. Pressé de se rendre à la cour, Duplessis se décide enfin à quitter Saumur ; mais , pour se mettre d'accord avec le duc de Bouillon, mandé dans le même temps près du roi, il charge Aubery de lui communiquer une longue lettre qui contient un plan de conduite (2). Au _ mois de février 1594, Duplessis était de retour à Saumur, et il faisait parvenir au sieur du Maurier deux lettres très pressantes, à la date du 27 février et du 4 mars (3), désirant avoir des nouvelles du duc de Bouillon , qui, après avoir quitté la cour, s'était remis en campagne pour guerroyer contre les ligueurs in- soumis.
Vers ce temps, la correspondance de Duplessis et d'Aubery se trouve tout-à-coup interrompue : le 4 fé- vrier 1595, c’est-à-dire près d'un an après avoir reçu la dernière lettre de Duplessis, Aubery lui donne quelques détails sur le mauvais accueil fait à la cour au duc de Bouillon (4). Nous n'avons aucune lettre de l’année 1596. Vers la fin de l'année 1597, Duplessis et Aubery s'adressent de fréquentes missives, mais nous n’en possédons qu’un petit nombre. Duplessis s'étant rendu dans la ville d'Angers , pour prendre part, avec
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(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; Paris, Treuttel et Wurtz, 1824, in-8”, t. v, p. 526
(2) Ibid., p. 560. 18 septembre 1593. (3) Ibid.,t. vi, p. 13 et 17. (4} Ibid., t. vit, p. 169.
24 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
MM. de Schomberg , de Brissac et de Rochepot, à une conférence qui devait avoir lieu sur les affaires de Bretagne , a été attaqué, en pleine rue , en plein jour, par une bande d’assassins, à la tête de laquelle se trouvaitun sieur Saint-Phal, parent du duc de Brissac. C'est au sujet de cette affaire que, le 6 décembre, Du- plessis charge Aubery, qui était alors à la cour, de voir leurs amis communs, de parler au roi, et de réclamer prompte et bonne justice (1). Nous avons une lettre d’Aubery à Duplessis qui porte la même date que la précédente (2). Il a fait toutes les démarches sur le résultat desquelles Duplessis l’interroge : le roi et tous les courtisans sont indignés; le duc de Brissae est suspect d’avoir armé le bras de l'assassin. Mais comment Duplessis obtiendra-t-il une réparation suffi- sante? Son avis est que l'affaire doit être portée devant le grand conseil, et il prie du Maurier de consulter à ce sujet le célèbre Antoine Arnauld (3). Dans une autre lettre, du 25 décembre, Duplessis annonce à son ami qu'il est prêt à employer la force, s’il le faut, pour atteindre le meurtrier, que M. de Brissac a, dit-on, mis en liberté (4). Du Maurier écrit, le 7 janvier 1598, de Paris, qu'il a visité de nouveau les personnes avee lesquelles ilimportait des’entendre ; qu'elles sont toutes fort animées contre Saint-Phal et ses complices; que les conseillers à la cour se prononcent énergi-
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; ; Paris, 18 septembre 1593, t. vi, p. 445.
(2) Ibid., p.450. (3) Ibid., p. 460. (4) Ibid., 1592, t. var, p. 473
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER, 25
quement (1). Cependant Duplessis renonce à cette poursuite criminelle; il ne demande plus qu’une répa- ration en présence du roi et des maréchaux de . France (2). Du Maurier préférerait que cette réparation fût refusée, et que Saint-Phal, absent ou présent, fût condamné par le grand conseil (3). 11 pense, d'ailleurs, que Duplessis à le droit de faire arrèter Saint-Phal partout où l’on pourra le rencontrer (4). Mais les amis du duc de Brissac sont puissants à la cour ; s’ils con- damnent la conduite de Saint-Phal, ils s’efforcent d'at- ténuer la gravité de l’oflense commise, en donnant l'auteur pour un étourdi, pour un jeune homme sans expérience, qu'il ne faut pas flétrir, mais simplement admonester. Du Maurier écrit à Duplessis que le roi ne paraît plus si courroucé contre le coupable (5). Il lui adresse encore une lettre, le 11 février, mais elle ne contient aucun détail important (6). Du mois de fé- vrier au mois de juin, la correspondance d'Aubery et de Duplessis est interrompue. Le roi étant à Angers et Duplessis se trouvant près de lui, du Maurier n’avait aucune démarche à faire pour son ami, soit près du roi, soit près des courtisans. Les Mémoires de Madame Duplessis-Mornay nous apprennent que pendant son séjour à Angers, le roi donna aux maréchaux de France
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay ; Paris, 18 septembre 1592, t. vit, p. 496.
(2) Ibid., p. 514. (3) Ibid., p. 518. (4) Ibid., p. 521. (5) Ibid., p. 524 et 558. (6) Ibid., t. vint, p. 50.
26 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
l’ordre de commencer la procédure contre Saint-Phal, et de décider dans quelle forme une réparation serait accordée à l'honneur de son vieux camarade (1). Le 13 juin, Aubery fait connaitre à Duplessis que Saint- Phal a juré de se rendre à l’assignation des maré- chaux (2) : deux autres lettres de du Maurier, du 2 et du 22 août (3), ont pour objet d'inviter Duplessis à se rendre au château de Buhy, suivant les ordres du roi, et d'attendre en ce lieu le jour de l'audience solennelle dans laquelle Saint-Phal doit demander son pardon. Duplessis consent à faire ce voyage et en informe le roi et le duc de Bouillon {4}. Nous avons encore huit lettres d’Aubery et une de Duplessis sur l'affaire de Saint-Phal, mais elles sont d'un intérêt médiocre (5). Nous ne pouvons toutefois omettre de citer ce passage d’une lettre d’Aubery, du 21 novembre 1598 : « L’af- faire que j'avais tenté demeure tousjours indécis. M. de Loménie voudroit bien y demeurer seul; mais vous jugés, Monsieur, s'il le peust, estant agé et marié. Le roy, comme j'estime, s’arreste plustost à une occasion qu'à une cause, et le Monsieur que je sers aime peust- estre mieux ses affaires que mon advancement. Si crois-je, Monsieur, que je lui pourrois estre plus utile, au roy non moins fidelle, qu’à mes aultres maistres, et à M. de Loménie quelquefois en soula-
(1) Mémoires et Correspondance de Duplessis-Mornay, p. 332 de l’édit. de 1824.
(2) T. 1x, p. 30.
(3) Ibid., p. 126 et 137.
(4) Ibid., p. 140 et 141.
(5) Ibid. p. 146, 152, 155,161, 164, 169, 172, 180, 184, 204.
BENJAMIN AUBERY DG MAURIER. 27
gement. M. de Bouillon, a qui j'ai dict ce qui s'y est passé, ne s'est poinct offert de s'y employer. » Il y a beaucoup d’obscurité dans les phrases que nous venons de citer, et comme elles contiennent des renseigne- ments sur la vie d'Aubery, nous devons en donner l'explication. Le duc de Bouillon est le Monsieur que servait alors Aubery, et la charge de sécrétaire du cabinet du roi est celle dans laquelle Antoine de Loménie voulait demeurer seul. Le sieur de Clerville, son collègue, venait de mourir (1), et du Maurier, sollicitant cette place, prie Duplessis d'intervenir en sa faveur près du roi. Il ne tarda pas à l'obtenir, car, au mois de décembre, il était envoyé par le roi, dans la ville de Meulan, avec le titre de sécrétaire du ca- binet (2), au devant de Duplessis qui se rendait à Saint-Germain. Voici quelle fut la fin de cette longue négociation relative à l'attentat d'Angers. Saint-Phal fut conduit à la Bastille le 12 janvier 1599 : le lendemain, il fut amené devant le roi, sans armes, par le capitaine des gardes. Les maréchaux ayant déclaré que « la qua- lité de l’offense avait rendu Saint-Phal incapable de venir en combat avec le sieur Duplessis , » celui-ci ne refusa pas d'accorder le pardon qui lui était demandé dans les termes les plus respectueux. Le roi fit ensuite au coupable la plus sévère remontrance (3).
Quand, en l’année 1602, arriva la disgrâce du duc de Biron , qui s'était laissé compromettre en de cri- minelles intrigues avec l'Espagne , le duc de Bouillon
(1) Lettre de M. Du Maurier, du 14 nov. 1598, t. 1x, p. 180. (2) Mémoires de Mad. Duplesss, p. 334. (3) Mémoires de Mad. Duplessis, p. 340.
98 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
fut dénoncé comme ayant pris part au même complot. On ne manqua pas de conseiller au roi l'arrestation d'Aubery; mais le roi qui « le cognoissoit nourri de Ja main de M. Duplessis, » déclara « qu'il n’avoit poinct appris avec luy à estre instrument de meschan- ceté (1), » et non seulement il refusa de l’impliquer dans cette affaire, mais, pour lui donner un témoignage de sa confiance, il le chargea d'aller à Saumur de- mander à Duplessis le parti qu’il convenait de prendre à l'égard du duc de Bouillon. I! était impossible de lui confier une mission plus délicate. Duplessis fit au roi, par écrit, une sage réponse: il recommanda d'instruire l'affaire , de recueillir des preuves avant de con- damner un personnage aussi considérable, et de pro- céder à son égard avec la réserve commandée par les circonstances. Mais cet avis ne fut pas écouté.
Du premier mois de l’année 1599 aux derniers de l’année 1604, nous n’avons aucun échange de lettres entre Duplessis et du Maurier. A la date du 24 sep- tembre 160%, Duplessis demande quelques nouvelles des affaires de la cour (2) ; il s'intéresse au retour en grâce du duc de Bouillon. Mais de la part du roi, comme de la part du duc, on fait des propositions d'accommodement qui sont jugées inacceptables. Après de longs délais, au mois de mars de l’année 1606, Sully donne à du Maurier la commission d'aller trouver le duc de Bouillon et de lui proposer de nouveaux
(1) En racontant ce fait en ces termes, page 417 de ses Mé- moires, Mad. Duplessis donne au sieur Du Maurier le titre de secrétaire de M. de Bouillon. Il l’avait été, mais il ne l'était plus.
(2) Mémoires et Correspondance , t. x, p, 9.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 29
arrangements : il ne fut pas plus heureux dans cette négociation que La Tremouille, La Noue et les autres envoyés de Henri (1); la réconciliation n’eût lieu que sous les murs de Sedan, lorsque le roi vint mettre le siége devant cette ville où le duc de Bouillon s'était fortifié.
Sept lettres de Duplessis à du Maurier, du 22 juin 1607 au 24 novembre 1609 (2), ne nous font rien connaitre d’important. Il faut qu’il y ait eu, vers cette époque, quelque refroidissement entre les deux amis, ou bien que les fonctions confiées à du Maurier ne lui aient pas permis de continuer ses intimes confidences avec un homme que tant de gens s’efforcaient de perdre dans l'esprit du roi. Ce qui nous ferait admettre la supposition d’un désaccord, d'une rupture, c'est que la première lettre adressée à Duplessis par du Maurier, après un silence d'environ trois années, n’est plus écrite sur le même ton que celles d'autrefois : du Mau- rier appelle Duplessis Monseigneur ; il ne lui parle pas avec liberté, avec abandon, mais avec une gravité sen- tentieuse, presque pédante; il ne lui demande plus des ordres, mais lui donne presque des conseils : et com- ment sont-ils accueillis par Duplessis? assez mal. Ils ne s'entendent plus, ils usent l’un à l'égard de l’autre de réticences calculées, ils dissertent longuement sur a situation des esprits, sur les circonstances, sur la conduite qu'il faut tenir , comme des gens qui ne mar- chent plus dans la même voie et qui ont besoin de se
(1) Lettre de Du Maurier à Duplessis. Mémotres et Correspon- dance, t.x, p. 165.
(2) Ibid., p. 206, 208, 211, 214, 259, 365, 438.
30 BENJAMIN AUBERY DU MAURIFR.
justifier réciproquement (1). L'un des deux, en effet, vit toujours dans son château de Saumur, retiré des affaires, n'ayant plus même, depuisla mort d'Henri IV, aucun rapport avec la cour, et ne s’occupant que de veiller sur les intérêts de l’église, du parti dont il est vraiment le tuteur et le chef. L’autre a témoigné. moins de rancune aux vétérans du parti de la Ligue, et, sans faire le sacrifice de ses croyances, il n’a pas heurté celles de la secte dominante ; il vit à la cour , y remplit une charge où l'on fait état de son aptitude et de son expérience : c’est un homme en crédit, qui a plus de désirs que de regrets. Voilà des positions bien diffé- rentes (2). Il est vraisemblable que Duplessis et Aubery se brouillèrent tout-à-fait, en 1613, à l’occasion de l'ambassade de Hollande.
Alliée du prince d'Orange, le comte Maurice, qui était en guerre avec les Espagnols et les Flamands, la cour de France entretenait dans son armée quelques
(1} Mémoires et Correspondance, t. x1, p. 388 et 389.
(2) Dans ses Mémoires concernant les vies et les ouvrages de plusieurs modernes,, à l’article Benjamin Aubery, Ch. Ancillon suppose que Duplessis-Mornay eut pour correspondants deux ou trois Du Maurier ou Du Morier, mais il n’allègue aucune preuve à l'appui d’une telle hypothèse. Si elle était fondée , il y aurait de notables inexactitudes dans notre notice biographique ; mais il faut remarquer que Ch. Ancillon ne possédait qu’une partie de la correspondance de Duplessis, et qu’il ne pouvait suppléer par d’autres documents à l'insuffisance des renseignements qui lui étaient fournis par ces Mémoires incomplets, sur la vie de Ben- jamin Aubery. Îl nous semble que la dernière édition des papiers de Duplessis ne laisse pas subsister la distinction établie par Ch. Ancillon entre le secrétaire du duc de Bouillon , Benjamin Aubery et M. du Maurier, conseiller d’état. Il serait possible, toutefois, que les dernières des lettres dont nous venons de parler, celles dont l’auteur donne à Duplessis le titre de Monseigneur, ne fussent pas de notre Benjamin Aubery du Maurier, mais de quelqu'un des siens.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 31
compagnies de cavalerie, et s’intéressait vivement au succès de ses armes. Dans les autres états de l’Europe, on avait la paix. Aussi la noblesse de France, d’An- gleterre, d'Allemagne, d'Italie, s'était-elle donné ren- dez-vous sur le champ de bataille où le prince Mau- rice et le marquis de Spinola , général des armées d'Espagne, se livraient de grands combats et don- naient des leçons de stratégie aux plus habiles capi- taines. La ville de la Haye était pleine de gentilshommes français qui, n'ayant pu s'accoutumer au repos des armes, étaient venus prendre du service sous les dra- peaux de Maurice : le représentant de Ja France près de ce prince était admis dans tous ses conseils, et prenait part à la conduite de ses affaires, Villeroy ne pouvait donc appeler à ce poste difficile qu’un homme doué d'un esprit supérieur. Or il s'agissait de donner un successeur à M. de Reffuge , qui demandait son rappel. Aertsens , représentant des Etats à Paris, re- commandait vivement le sieur de Villarnould , gendre de Duplessis-Mornay (1); celui-ci, ne demandant rien pour lui-même, laissait volontiers conduire cette intrigue dans l'intérêt de son gendre (2). Mais, d'autre part, Benjamin Aubery réclamait cette ambas- sade de Hollande, et l’on avait coutume de confier ces sortes d'emplois à des hommes éprouvés, qui avaient fait leur noviciat diplomatique dans le cabinet du roi. À son grand dépit, Aertsens eut le dessous dans cette affaire ; de Villarnould , son candidat, fut écarté, et du Maurier partit pour la Hollande, avec le titre
(1) Mémoires et Correspondance, t. xi1, p. 193. (2) Ibid. , p. 139.
32 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
d'ambassadeur, au mois de mai de J’année 1613. I! était rendu à la Haye le 2 juin.
Aertsens ne tarda pas à l’aller rejoindre. C'était un homme plus adroit qu'honnèête, qui avait peu de crédit, mais dont on redoutait les secrètes entreprises. Ayant fait savoir à la reine-mère qu'il retournait en Hollande pour prendre soin de sa santé et de ses affaires parti- culières , il reçut, à son départ, suivant l'usage , un présent considérable, un service de vermeil de la valeur de quinze mille livres. Comme on était fort aise d’être délivré d’un tel fourbe, même à ce prix, on écrivit aussitôt de Paris à la Haye, pour annoncer son départ et pour inviter les Etats à lui désigner un successeur. Aubery fut chargé de faire cette demande. Mais Aertsens n'avait pas eu l'intention de quitter son emploi ; il avait simplement voulu se faire donner le présent d'adieu, et, comme l'audace ne lu manquait pas , il jura qu'il avait pris congé de la reine-mère en lui annonçant un prochain retour, et prétendit faire passer pour des imposteurs les ministres et les ambas- sadeurs de France. Mais ces débats ne se terminèrent pas à son avantage. Une lettre de la reine-mère vint confirmer les dires d'Aubery, et celui-ci dénonça, le 143 novembre 1613, en pleine assemblée des Etats, les honteuses manœuvres de cet agent diplomatique, qui avait poussé Je mépris des convenances jusqu'à séduire à prix d'argent le secrétaire de l’ambassade française , et avait obtenu par ce moyen la communica- tion des papiers les plus importants. Aertsens eut pour successeur, dans sa charge, le baron de Languerac (1).
(1} Mémoires pour servir à l’histoire de Hollande, par Louis Aubery, p. 380 et sui.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 53
Il se promit bien alors de perdre un homme qui , avait si peu ménagé. Il était bien vu du prince Mau- ice, dont il avait servi la cause durant les troubles, et les parents et les amis que ce prince avait à la cour d' France faisaient courir de méchants bruits sur le compte de du Maurier. Celui-ci, qui avait été admis dans l'intimité de Louise de Coligny, princesse d’O- range , eut plus d’une fois besoin de sa protection , et elle ne lui manqua pas (1). Parmi les témoignages d’es- time qu’il reçut de cette princesse, il en est un que nous ne pouvons oublier. En l’année 1614, une fille naquit à du Maurier; Louise de Coligny voulut être la marraine de cet enfant, qui eut pour parrains MM. les Etats-Généraux , représentés au baptême par Olden de Barneveldt (2). |
Les Etats avaient fort à cœur d'être en de bons termes avec l'ambassadeur français : ce n'était pas seulement , à leurs yeux , le représentant d’une puis- sance amie, c'était encore le personnage le plus con- sidérable de tous les résidents étrangers. Outre les gages de sa charge et les pensions qu’il avait de la cour, Aubery touchait encore vingt-quatre mille livres par an, comme intendant des finances françaises en Hollande. On lui faisait de grands honneurs, et les princes eux-mêmes n'avaient pas son train : « Les hyvers , la Haye étoit toute pleine de seigneurs et de gentilshommes françois qui ne manquoient pas, pour honorer le roy en la personne de son ministre , de l’ac-
mL | Mémoires pour servir à l'Histoire de Hollande, p. 388 et .
9) Ibid., p. 198. | IL 3
54 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
compagner à l'audience de MM. les Etats-Généraux, quand il y alloit; et comme on n'eut pu fournir assez de carosses pour deux ou trois cens gentilshommes et officiers qui s’y trouvoient quelques-fois , l’ambassa- deur alloit à pied à la tête de cette belle troupe, et son carosse suivoit tout vuide. Si cette ambassade étoit honorable , aussi obligeoit-elle à de grandes dépenses, car il falloit souvent régaler cette nombreuse noblesse ; mais on étoit bien payé pour cela (1). » Il arriva même à du Maurier, en l’année 1615, de traiter plusieurs fois Philippe de Nassau, prince d'Orange, et Ja prin- cesse sa femme. Par la réception qu'il leur fit, il se concilia leurs bonnes grâces, et comme il était mal servi près de la reine-mère par ceux des courtisans qui convoitaient son emploi et par ceux qui poursui- vaient en lui l’ancien secrétaire du duc de Bouillon, les autres le calviniste refroidi, il lui fut très-utile d’avoir mérité l’affection de Philippe de Nassau (2). Si, comme on le voit, la maison d’Aubery était fré- quentée par les princes , par les plus hauts dignitaires des Provinces-Unies , elle était aussi le lieu de rendez- vous des plus doctes personnages. Quand Grotius venait à la Haye , il n’oubliait pas d’aller saluer l’am- bassadeur du roi de France , et lui rendre les hon- neurs dûs à son rang, tandis que celui-ci se montrait fort jaloux d'être compté parmi les familiers de l'il- lustre syndic de Rotterdam. Les relations de Grotius et d'Aubery commencèrent dès l'année 1614 : elles furent bientôt très-intimes. Dans la collection des
(1} Mémo res pour servir à l’histoire de Hollande, p. 192. (2) Ibid., p. 208.
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Lettres de Grotius, on n'en lit pas moins de quatre- vingt-sept adressées au sieur du Maurier. La première de ces lettres, qui porte la date du 5 juin 1614, a pour objet la mort d’un des enfants de du Maurier ; dans la seconde , qui est extrêmement curieuse, Grotius ré- pond longuement à son ami , qui lui avait demandé de Jui tracer le plan des études que doit faire un ambas- sadeur. Cette correspondance ne peut manquer d’avoir pour nous beaucoup d'intérêt : nous y voyons qu’en J’année 1615, les'affaires des Provinces-Unies, si graves qu'elles fussent, occupaient moins du Maurier et Grotius lui-même que les tristes nouvelles reçues de France.
En effet, il y avait alors, en France, de grands tumultes. Mécontents de voir la cour incliner vers l'Espagne , et d'ailleurs très-jaloux de recouvrer des priviléges qu'ils s'étaient laissés ravir sous le règne précédent, les princes et les ducs venaient de former, dans l'état, un parti redoutable, et sollicitaient au dehors, surtout dans les pays protestants, des troupes et des armes. Ayant appris que des officiers de l’armée hollandaise se disposaient à franchir la frontière, pour aller prendre du service sous les drapeaux des princes confédérés, et que des navires chargés d'armes étaient dirigés vers les côtes de France, Aubery fit arrêter les officiers et saisir les vaisseaux. Du côté des princes étaient ses co-religionnaires, ses amis, ses protec- teurs ; du côté de la reine-mère, étaient les gens dont il redoutait le crédit, dont il condamnait les tendances réactionnaires et desquels il ne pouvait attendre aucun bon service ; mais il était ambassadeur de la cour de France , et il s'agissait de protéger l’état contre des
36 BENJAMIN AUBERY DU MAURIER.
entreprises factieuses : il n’hésita pas à remplir son devoir. Les agitateurs lui gardèrent rancune de cette conduite : durant les troubles, ils envoyèrent quelques pillards dans un château qu'il possédait à la Fontaine- Dangé, près Châtellerault, et ce domaine fut dévasté (1). La reine-mère et le roi lui écrivirent à ce sujet et eurent à cœur de réparer, autant que faire se pouvait, par une compensation pécuniaire, le dommage qu'il avait éprouvé (2). Philippe d'Orange prit sa défense auprès des seigneurs protestants. Le prince Maurice, jaloux de lui témoigner hautement son estime, voulut être parrain d'un de ses fils (3), et quand, après la conclusion du traité de Loudun , il écrivit à Villeroy pour le féliciter d'avoir apaisé les troubles , il s’ex- prima dans ces termes au sujet d’Aubery :
« Monsieur,
« À mon retour de Zélande, sur l'invitation faite par M. du Maurier, ambassadeur du Roy, pour le rétablissement des officiers des troupes francoises en leurs charges , j’ay tenu la main à ce qu’il y ait été pourveu au contentement de Leurs Majestez, Messieurs les Etats en ayant pris la résolution ; dont l’acte sera exécuté. Au reste, je me suis grandement réjoui que les troubles du royaume ayent été si hüreusement appaisez... Quoy que le bon soin et devoir que ledit sieur Ambassadeur a rendu pour s'acquitter dignement des commandements de la Reyne parlent assez d'eux-mêmes, si dois-je rendre ce témoignage à ces com- portements qu’ils ont été tels que Leurs Majestez en ont été loya- lement et utilement servies, sans qu’il ait donné aucun juste
(1) Mémoires pour servir à l'Histoire de Hollande, p. 209. (2) Ibid., p. 210 et suiv. (3) Ibid., p. 241.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 91 sujet de plainte à qui que ce soit, ayant conduit avec honneur, modestie et respect, toutes ses actions qui nous sont bien con- nues : ce que je vous dis pour certaine assürance. Que s’il avoit été fait d’autres rapports pour lui nuire, on y auroit fait grand tort à son intégrité et bonne discrétion, Messieurs les Etats et nous tous étant pleinement satisfaits de ses procédures en l'égard de tous, et croyons que Leurs Majestez ne pourroient user par deça du ministère d'aucun autre qui leur fût plus utile et fidèle, ny plus agréable à cette République (1). »
Durant les années 1616 et 1617, Aubery s’employa constamment auprès des Etats à maintenir leurs bons rapports avec la France, et il y réussit au gré des deux cours. Il obtint alors un congé de trois mois, et fit un voyage en France. C'est à l'occasion de ce voyage que Grotius lui écrivait le 24 novembre 1616 : a Quoique votre présence à la Haye nous soit bien utile, et me soit particulièrement fort agréable, je ne m'opposerai pas à votre départ : je sais que là bas vous serez assez Français pour rester l’ami des Hol- landais ; bien mieux, que vous y serez d'autant plus Français que vous vous montrerez mieux disposé pour la Hollande. » En retournant à son poste, Aubery passa par Saumur et vit Duplessis-Mornay, dont il avait sans doute à cœur de reconquérir l'affection. De graves événements Je rappelaient à la Haye. Depuis long- temps les Etats et le prince Maurice étaient en désac- cord. Plus zélé pour les affaires de sa maison que pour celles de Ta république, Maurice s'était concilié par d'habiles intrigues l'affection des Hollandais, et il tra- vaillait à faire prévaloir l'autorité du stathoudérat sur
(1) Mémoires paur servir à l'Histoire de Hollande , p. 239.
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celle du parlement. À la tête du parti qui luttait contre cette ambitieuse entreprise, se trouvait Jean d'Olden Barneveldt, avocat général de la province de Hol- lande, vieillard austère, grand citoyen , que recom- mandaient à la fois et ses vertus et ses services. Les deux partis ne se déciarèrent et ne se combattirent ouvertement qu’à l’occasion de la controverse engagée entre Arminius et François Gomare , au sujet de la prédestination et de la grâce. Barneveldt et le plus grand nombre des membres des Etats et des libres docteurs de la Hollande se prononcèrent pour la doc- trine d'Arminius ; le prince Maurice et ses partisans firent profession d'être gomaristes. Leurs débats reli- gieux amenèrent des troubles dans le parlement hol- landais. Aubery fut chargé par la cour de France d'in- tervenir entre les partis belligérants et d’amortir ces dissentiments fâcheux (1). Il ne put y parvenir, et le 22 août 1618, le prince Maurice , ne prenant conseil que de son ambition et de ses rancunes, fit arrêter
Barneveldt, Hoogenberts, Leydenberg, Grotius et
quelques-uns de leurs principaux adhérents. Barneveldt et Aubery s'étaient rendu des services mutuels, etil y avait entre eux une conformité de caractère qui avait contribué beaucoup à reserrer des liens formés par les circonstances. Tous les historiens
(1) Mémoires pour servir à l'Histoire de Hollande, p. 334.
Dans un manuscrit de la Bibliothèque du roi, provenant de l’ab- baye de Saint-Germain-des-Prés (n° 192 de St.-Germain }, on lit .un Mémoire instructif baillé à M. du Maurier, ambassadeur du roi, retournant en Hollande, en octobre 1617. Ces instructions portent que le sieur du Maurier s’abstiendra d'intervenir dans les affaires intérieures des Etats, si ce n’est pour apaiser les diffé- rends survenus.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. 59
ont loué les éminentes qualités de Barneveldt ; voici le portrait d'Aubery du Maurier , tracé par Charles Ancillon : « Il étoit ouvert, affable , se communiquant à ses amis et surtout à ses enfants, auxquels ilrendoit tous ses entretiens utiles. Il étoit sincère , droit, équi- table, sur ses gardes pour ne désobliger personne, craignant toujours de préjudicier à quelqu'un, mais ne se laissant pas surprendre, renversant aisément toutes les ruses et tous les artifices dont on vouloit se servir contre lui (1). » Ces deux hommes, dignes l’un de l'autre, s'étaient accordé une confiance réciproque, et leurs familles étaient unies par la plus étroite fami- liarité. L'ambassadeur de France avait un commerce aussi suivi avec les chefs du parti républicain, Barne- veldt et Grotius, qu'avec les courtisans du prince de Nassau. Quand il apprit l'arrestation de ses amis, il s'empressa de protester, même en public, contre les actes de violence du stathouder, et formula de vives remontrances qui furent lues dans l’assemblée des États (2). À ce manifeste, le parti du prince répondit par de violents libelles, rédigés par Aertsens, dans les- quels on accusait Aubery de favoriser la secte d'Armi- pius par inclination pour les Espagnols et les papistes. Bien que la cour de France eût intérêt à demeurer en de bons termes avec le stathouder, elle appuya les démarches faites par son ambassadeur en faveur de Barneveldt et de Grotius. À la fin d'avril 1619, le procès des accusés touchant à sa fin, Aubery se rendit à
(1) Mémoires concernant les vies et les ouvrages de plusieurs modernes, p. 323.
(2) Mémoires pour servir à l'Hist. de Holl., p. 340 et suiv.
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l'assemblée des États et fit entendre d’énergiques paroles. On n'en tint pas compte, et Barneveldt fut condamné à la peine capitale. Avant l'heure fixée pour l'exécution, Aubery voulut encore faire un dernier effort ; il courut à l'assemblée , et demanda vivement une audience : elle lui fut refusée, et il ne put qu’a- dresser aux États une note diplomatique, dans laquelle il sollicitait, au nom du roi de France, la grâce de Barneveldt. Cet illustre martyr de la liberté politique et de la tolérance religieuse, monta sur l’échafaud le 13 mai 1619.
Aubery demeura quelques années encore en Hol- lande. Il perdit, à la Haye, au mois de novembre 1620, sa femme, génoise d'origine, qui lui avait donné douze enfants, six garçons et six filles (1). Prisonnier dans le château de Louvestein, Grotius lui adressa, dès qu'il apprit cette nouvelle, une lettre de condoléance. C'est vers le même temps, le 15 janvier 1621, que le com- plice de Barneveldt écrivait à son ami du Maurier :
« Ma cause étant depuis longtemps plaidée devant ma con- science, qui est pour moi le plus saint des tribunaux, je ne trouve pas, dans les plus intimes replis de mon âme, que nous ayons jamais formé un autre dessein que celui de concilier l'unité de l'Eglise avec la liberté des opinions sur les points eontroversés : dessein que me semblent autoriser un grand nombre d'exemples anciens et récents. Je n’ai jamais prétendu rien changer dans le gouvernement de la république ; J'ai toujours eu à cœur de dé- fendre le droit de ceux dont j'étais le sujet, au nom desquels j'exerçais un emploi public, et auxquels j'avais engagé ma foi, et, dans ce but, j'ai voulu conserversaux Efats et au prince la part
(1} Mémoires pour servir à l'Hist. de Holl , p. 401.
BENJAMIN AUBERY DU MAURIER. A1 d'autorité qui leur avait été jusqu'alors attribuée par la volonté du peuple. Qui a connu nos affaires comprend sans peine que tout notre crime a été de vouloir préserver la république des lois nou- velles qu’allaient établir d’ambitieux partisans. Si, pour avoir tenu cette conduite, nous sommes dépouillés de nos hiens, de nos charges , de notre considération, ce n’est pas là non plus un fait sans exemple. Mais, ce qui m’est bien dur, c’est d’être privé, malade et souffrant, de la lumière du soleil, et de ne pouvoir, dans mes chagrins , recevoir les consolations de mes amis. Cepen- dant je supporterai cela , et, Dieu aidant, de plus cruels supplices, s’il en est, plutôt que de demander grâce alors que ma conscience ne me reproche rien. » | :
Ce sont-là de beaux sentiments et de belles paroles. On sait que Grotius s'échappa de la prison de Lou- vestein au moyen d'un coffre dans lequel sa femme lui avait envoyé des livres. Dès qu’il fut hors des mains du prince Maurice, Aubery lui donna des lettres pour Paris, lui promettant que le meilleur accueil serait fait dans cette ville à l’illustre défenseur des libertés ba- taves. Grotius suivit ce conseil, et se rendit à Paris.
Au mois de juillet de l’année 1622, Aubery an- nonçait à Grotius qu’il avait formé le projet de con- tracter un nouveau mariage ; il avait réalisé ce projet au mois de décembre de cette année, comme nous l'apprend une lettre de Grotius qui se termine par ces mots : «Vale cum uxore et liberis. » Vers la fin de 1623 nous voyons Aubery tenir sur les fonds de baptême, pour le roi de France, un des fils de Guillaume d'O- range, ayant à sa droite le roi de Bohème et le prince Maurice à sa gauche (1). En quelle année Benjamin
(1} Mémoires pour servir à l’Hist. de Holl., p. 168.
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Aubery cessa-t-il de représenter la France à La Haye et vint-il chercher le repos aux lieux de sa naissance? Cela est fort incertain. Le 26 juillet 1629 , Grotius lui écrivait : « Je vous ne parlerai pas des affaires de France, car elles sont toujours dans le même état. » On a donc lieu de croire qu’à cette époque Aubery n'avait pas encore quitté La Haye. Une autre lettre de Grotius, du 16 août 1630, contient le passage suivant : « S’il ne parvient aucune nouvelle dans l’endroit que vous habitez, ne vous cn affligez pas, car, à cette condition seulement, vous pourrez être tranquille. C'est quelque chose que de vivre là où l’on n'entend parler ni du nom ni des actes des Pélopides. Mais co qu'il y a de triste aux lieux où vous êtes, c’est que la terre supporte, outre les injures du ciel, de tels im- pôts, que les laboureurs eux-mêmes commencent à la maudire. Bien souvent je prends en pitié vos paysans accablés par tant de charges, lorsqu’au-dessus d’eux je vois la foule des grands et les prêtres eux-mêmes vivre dans le luxe, affranchis de toute redevance fiscale. » Ces détails sont plus que suffisants pour nous apprendre qu'en l’année 1630, Benjamin Aubery était de retour en sa terre du Maurier.
Ch. Ancillon rapporte que, « pendant son séjour en Hollande, » Aubery reçut du roi l'ordre de passer en Angleterre, et de négocier diverses affaires avec la reine Élisabeth. Cette reine étant morte le 3 avril 1609, et Benjamin Aubery n'ayant été nommé ministre en Holilande qu’en 1613, Ch. Ancillon a commis une erreur de date. Benjamin Aubery avait été chargé par Henri IV, durant les troubles de la Ligue, d'aller de- mander à Elisabeth des secours qu'il n’obtint pas. Au
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témoignage d'Ansart, il remplit une autre mission dans le même pays, sous le règne de Jacques I°".
La dernière lettre de Grotius à Benjamin Aubery est du 31 juillet 1636. Nous lisons dans les Mémoires de Hambourg qu'il mourut, au Maurier, le 10 août de cette année 1636 (1).
Louis Aubery nous rapporte que son père « passa pour une des meilleures plumes de san temps. »Il reste bien peu de ses écrits, qui furent presques tous des pièces diplomatiques ou des discours parlementaires. Nous avons fait connaître ce qui a été publié de sa correspondance avec Duplessis-Mornay, mais nous ne possédons pas les lettres qu'il écrivit à Grotius.
Suivant le P. Lelong , il existait à la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés un recueil manuscrit con- tenant diverses missives des sieurs de Russy, de Ref- fuge, du Maurier, ambassadeurs cn Hollande, de l'année 1609 à l’année 1623. Nous avons fait de vaines recherches pour découvrir ce manuscrit à la biblio- thèque du roi ; nous n’en avons pas même trouvé l'in- dication dans l’ancien catalogue de la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Germain.
Dans ses Mémoires pour servir à l'histoire de Hol- lande, L. Aubery a publié deux fragments d'un ouvrage de son père, auquel il donne le titre de : Préceptes de M. du Maurier Benjamin Aubery à ses enfants : l'un de ces fragments se trouve inséré dans la vie de Louise de Coligny, l’autre dans la vie de Barneveldt. Ils ne contiennent rien qui soit digne de remarque.
(1) Hémoires de Hambourg, par Louis du Maurier, p. 1.
44 JACQUES POUSSET. L POUSSET (rACQuEs).
JACQUES POUSSET, sieur de Montauban, né au Mans dans les premières années du XVIIe siècle , fut avocat au parlement , échevin de Paris, et mourut dans cette ville en 1685. Il jouit d'une grande réputa- tion comme orateur et comme poète tragique. Un qua- train, dont nous regrettons de ne pas connaître l'au- teur, est ainsi CONÇU :
Faire des vers comme un Homère
Et comme un Cicéron régner par le discours, C’est ce que Montauban sait faire
Et dont on n’a point veu d'exemple de nos jours.
Rien de plus, mais rien de moins. — Si l'on use, si l’on abuse encore trop souvent de cette figure de rhétorique qui s'appelle l’hyperbole, on ne tombe plus en d'aussi graves écarts. Mais laissons de côté ces dires frivoles , et apprécions équitablement les mérites littéraires de Pousset de Montauban.
Il parut comme avocat dans plusieurs causes cé- lèbres ; dans celles du gueux de Vernon, des Dau- briot de Courfaut, de Bernard de la Guiche , etc., etc.- et nous avons quelques fragments de ses plaidoyers. Rien n’est plus bouffon : ce sont des centons d'orai- sons latines très-librement traduits et cousus les uns aux autres avec assez peu d'art, des anecdotes racon- tées avec emphase, et des divagations grotesques : nous ne saurions rien en louer.
Nous nous arrêterons plus long-temps sur ses pièces de théâtre : on en connaît à peine les titres, et nous
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ne croyons pas qu'elles aient été jamais analysées. La grande renommée de Racine a fait oublier tous les contemporains de P. Corneille. Quand les oreilles du public eurent entendu les vers d'Andromaque ou de Britannicus, quand elles en eurent goûté le tour élé- gant, harmonieux, elles ne purent supporter davan- tage la manière moins correcte et plus rude des dis- ciples ou des rivaux de Corneille, et ceux-ci tombèrent aussitôt en discrédit. Nous ne prétendons pas qu’on ait commis à leur égard une très-grande injustice , et nous ne blàmons pas , même daus son intolérance et dans ses excès, la révolution qui porta Racine au sommet du Parnasse. Ayant toutefois à parler du théâtre de Pousset de Mautauban, nous devons faire valoir ses titres inconnus. La première en date de ses compositions dramatiques est une tragédie dont voici le titre : Zenobie , reyne d’Armenie; Paris, G. de Luine, 1653, in-12.
Zénobie, fille du roi d'Arménie, a été donnée pour femme à Rhadamiste, roi d'Iberie. Durant le repas nuptial, Rhadamiste a fait empoisonner le père et le frère de Zénobie pour se rendre maître de leurs do- maines. Mais, à la nouvelle de ce double crime, les Arméniens se sont révoltés , et Rhadamiste , vaincu par leurs milices, errant sur la plage étrangère, a voulu tuer Zénobie avant de tomber lui-même aux mains des insurgés. Celle-ci, frappée de trois coups de poignard, s'est réfugiée mourante dans la cabane d’un pécheur, et, dans cette obscure retraite , elle a mis au jour une fille. Cependant Tyridate, roi des Parthes, instruit de la naissance et des malheurs de Zénobie, l’a fait venir à sa cour, et l'a persuadée de partager sa couche.
46 JACQUES POUSSET.
Zénobie s'est engagée dans ce nouvel hymen, croyant à la mort de Rhadamiste. Une autre fille est née de cette union. Mais, pendant une longue absence de Tyridate , cette fille est morte, et Zénobie, qui a eu déjà beaucoup à se plaindre de son nouveau maître, a cru devoir substituer à la fille née de Tyridate, mysté— rieusement ensevelie, la fille née de Rhadamiste, laissée pendant quelques années à la garde du pè- cheur. — Telle est la première partie de l'exposition : elle n’est pas fort claire. Ce qui suit l’est moins encore. — Rhadamiste, ayant eu des nouvelles de Zénobie, réclame sa femme et veut prendre possession de l’Ar- ménie ; Tyridate s'obstine à garder Zénobie, et fait aussi de grands efforts pour s'emparer des états de sa famille. Repoussant à la fois Rhadamiste et Tyridate, les Arméniens appellent les Romains à leur secours. Les Romains envahissent le territoire contesté; Tyridate et Rhadamiste sont vaincus, et le consul de Rome, Helvidius, vient, au nom du sénat, dire à Zénobie que le sort des deux rois est entre ses mains, qu'elle peut leur donner ou la mort ou la liberté.
HELVIDIUS.
Enfin vos ennemis sont en vostre puissance, Madame, et les Romains vous vengent par mon bras Et de leurs cruautez et de leurs attentats.
Ces deux roys vous sont joints par le même hyménée, Au gré de vos souhaits faites leur destinée.
Par eux sensiblement le sénat offensé ,
Comme vous dans leur mort se voit intéressé : N'ont-ils pas des consuls fait abatre l’image?
A tous ses alliez n’ont-ils pas fait outrage? Cependant il vous fait l'arbitre de leur sort...
JACQUES POUSSET. 47
Perside , fille de Rhadamiste, qui se croit fille de Tyridate , veut sauver celui qu’elle appelle son père, et, dans ce dessein, elle a feint d'aimer Helvidius. Celui-ci, cédant à ses prières, intercède auprès de Zénobie en faveur des deux captifs. La cause de Tyri- date est encore plaidée par son fils Phraarte, lequel, né d'une autre mère que Zénobie, sait que Perside n’est pas sa sœur et l’aime sincèrement. Mais c'est en vain qu'on sollicite la reine d'Armenie : elle veut la mort de Rhadamiste et la mort de Tyridate. Elle dit à Helvidius :
Pour recevoir mes loix Rome vous a commis; N'examinez donc rien et suivez ma colère : Vous sçavez mon arrêt; que rien ne le difière. De ce plaisir si doux à mon ressentiment J'attendrai le succès en mon appartement.
Ainsi finit le premier acte. Au début du second, Phraarte vient ouvrir son cœur à Zénobie. Il aime Perside, mais avant de lui déclarer cet amour, il faut qu’il lui révèle le secret de sa naissance : or, s’il Jui fait cette déclaration , elle ne prendra plus aucun in- térêt au sort de Tyridate, et, s’il ne la fait pas, il verra Perside devenir l'épouse d’Helvidius. Dans cette alter- native, il sacrifie son amour, il se dévoue pour son père, il ne dira rien. Après lui, Helvidius et Perside viennent supplier la reine d'épargner Tyridate. Enfin Tyridate et Rhadamiste sont amenés devant Zénobie par les ordres du consul. C’est une scène de cruels reproches : Zénobie reste inflexible.
Mais il est à craindre qu'Helvidius, disposé par Perside à la clémence , n’agisse contre les volontés de
A8 JACQUES POUSSET.
Zénobie. Elle a donc fait parvenir des plaintes au sénat contre la mollesse du général , et, attendant Corbulon, qui a été désigné comme successeur à Helvidius, elle veut paraître revenue à d’autres sentiments à l'égard des rois. Elle s'adresse d'abord en ces termes à Phraarte :
Je ne résiste plus, prince , et votre prière
À sur mes sentiments une puissance entière ;
Je me souviens toujours , que tous mes déplaisirs, Qui me coùtoient des pleurs vous coûtaient des soupirs : Et comme ces deux roys, par le mesme hyménée,
Se treuvent engagez en mesme destinée,
Je veux qu’également ils partagent le fruit
Que la pitié pour eux dans mon cœur a produit ;
Je ne demande plus leur mort, ny ma vengeance, C’est assez d’en avoir témoigné la puissance,
Que Rome s'intéresse, et que , par son secours,
Je me voye aujourd'huy maistresse de leurs jours :
Je veux, quand mon courroux ne treuve plus d’obstacle, Dompter ma propre haine.
A cette nouvelle, Phraarte est plein de joie, et il s'empresse d'aller tout redire à Perside. Celle-ci lui confesse qu'elle n’a pour le consul qu'une affection feinte. Il lui raconte alors qu'il n’est pas son frère, et la conjure de l’accepter pour amant. Elle accueille bien cette prière, et quand Helvidius vient lui dire qu’il est prêt, pour lui plaire, à enfreindre les ordres qu'il a reçus du sénat, elle lui répond qu'elle n’a plus affaire de lui, puisque la reine a changé de résolution. Irrité par ses dédains, Helvidius jure de se venger dans le sang des deux rois. Zénobie parle aussitôt un autre langage : elle ne veut plus pardonner, et, pour
JACQUES POUSSET. 49
sauver Tyridate , Phraarte se voit contraint de dire à Perside qu'il l'a trompée, et qu'il est son frère. Rha- damiste et Tyridate sont introduits de nouveau sur la scène. Ils commencent par faire l’un et l’autre une déclamation solennelle sur le rôle humiliant qu’on fait jouer à deux rois :
RHADAMISTE.
Seigneur, c'est mal user du pouvoir qu’on vous donne, Et blesser un peu trop l'honneur de la couronne,
Que de nous appeler, loin de nous écouter,
Pour plaire à votre haine et pour nous insulter,
Pour voir deux souverains pleurer votre victoire, Pour faire dans leur honte éclater votre gloire,
Pour fouler à vos pieds la majesté des roys
Qui sont indépendants de vous et de vos lois,
Et pour nous voir, au gré des caprices d’un homme, Les divertissements d’une femme et de Rome.
HELVIDIUS.
Ne le présumez pas , et je suis plus humain. TYRIDATE.
Vous maltraitez les roys et vous estes Romain!
À quelques grands effets que votre haine aspire, Nous ne scaurions ny voir ny souffrir rien de pire : Nous mourrons sans paslir, notre cœur est trop haut. Mais cachez ceste femme et montrez l’échaffaut! Allons au lieu fatal d'où tombent les couronnes ;
Mais de plus d’un supplice espargnez nos personnes!
Cela dit, Rhadamiste et Tyridate, apprennent que le consul , touché par les larmes de Perside, lui a promis de sauver du moins la vie de son père ; ils demandent
III A
50 JACQUES POUSSET.
donc à Zénobie de résoudre le plus cruel des doutes, de déclarer duquel d'entre eux Perside est la fille. Mais Zénobie refuse obstinément de s'expliquer.
PERSIDE.
Qui de vous est mon père? Me l'enseignerez-vous, mère, prince, et vous rois ? Me viendrez-vous tirer de la peine du choix? M'en éclaircirez-vous , Seigneur, amour, nature ? Voix du cœur, voix du sang , estes-vous sans murmure ?
Sur ces entrefaites, Corbulon arrive. Il censure no- blement les faiblesses d'Helvidius ; mais, ce devoir rempli , il réclame , au nom de l'humanité, la grâce de Rhadamiste et de Tyridate. Zénobie va céder, quand on vient annoncer que les deux rois se sont frappés au milieu du camp romain et qu’ils expirent. Telle est l'analyse de cette tragédie. |
Les infortunes de Zénobie ont inspiré bien des poètes : l’abbé Boyer et Crébillon ont tour à tour traité le même sujet que Pousset de Montauban {1}; mais comme ils ont, les uns et les autres , fort peu respecté les témoignages de l’histoire , il se trouve que, sous le même titre , ils ont mis en scène des situations bien différentes. Aucune comparaison n'est donc possible entre ces diverses tragédies. On a pu remarquer que la fable imaginée par Pousset de Montauban est un tissu d'incidents fort bizarres , et que l’auteur a plu-
(1) Dans sa tragédie en prose qui porte le titre de Zénobie, l'abbé d’Aubignac a mis en scène une reine de Palmyre qui n’a de commun que le nom avec la triste femme de Rhadamiste. La tragédie de Magnon qui porte aussi le titre de Zénobie, est celle de l’abbé d’Aubignac mise en vers.
LE
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sieurs fois recours aux mêmes moyens pour produire les mêmes effets. Nous ne saurions louer dans sa pièce que la haute tenue des personnages et des discours qu'ils récitent : ce sont des héros parents de ceux de Corneille ; ils ont le langage fier, tranchant, senten- cieux de tous les membres. de cette illustre famille. Il y a des vers énergiques et vraiment beaux dans la Zénobie de Montauban; nous en avons cité quelques- uns de tels : mais on en rencontre beaucoup trop qui ne flattent que l'oreille, et n’expriment ni des sen- timents vrais ni des idées justes.
Il y a des scènes plus éloquentes dans la tragédie de Pousset de Montauban qui porte le titre d’Indé- gonde , publiée par G. de Luine , en 1654, un an après Zénobie. Hermenigilde , fils de Levilgilde, roi d'Es- pagne , a épousé Indégonde , fille de France. Goi- sinthe , femme en secondes noces de Levilgilde , a fait subir la persécution la plus cruelle au prince Herme- nigilde. Pour protéger ses jours contre les fureurs de cette marâtre, celui-ci s'est retiré dans les murs de Séville, et, depuis deux ans, cette ville est assiégée par les armées du roi. Enfin on propose la paix, le roi pardonne à son fils, le fils accepte avec dignité le pardon de son père, et revient à la cour. Alors Goi- sinthe invente le plus odieux complot : au moyen d'une lettre supposée , elle accuse Hermenigilde d'avoir conspiré contre son père avec les Romains ({ nous sommes au temps de Tibère), et d’avoir (voilà certes d'étranges anachronismes) abandonné la croyance des rois ses ayeux, l’arianisme, pour em- brasser la foi chrétienne. Le prince repousse avec horreur la première de ces accusations ; mais il avoue
52 JACQUES POUSSET.
qu’en effet il a été converti par Indégonde à la croyance des Francs, au christianisme :
C’est la source où , sans peur des peuples irritez , Mon esprit a puisé ces hautes véritez,
Ces mystères du ciel dont mon âme est certaine, Adorables escueils de la science humaine.
Je sçay que cette foy dont mon cœur a fait choix Passe pour un grand crime en l'esprit de vos loix ; Mais sçachez que ce crime , au milieu des supplices, À fait de ses bourreaux quelquefois ses complices , Sa conquestre autres fois des plus grands conquérants Et ses adorateurs de ses propres tyrans.
Le trépas pour ce crime est toute mon envie.
Ceux qui meurent ainsi ne changent que de vie.
Que je serois heureux si j'avois acheté,
Au prix de tout mon sang , cette immortalité !
Vainement on lui promet la vie et le trône, s’il veut renoncer à cette coupable croyance ; vainement Réca- rède, son frère , vient le supplier de prendre ce parti. Il répond par un refus héroïque, et meurt de la main du bourreau. Indégonde lui a dit elle -même de mar- cher au supplice. Quand elle apprend sa mort, elle ne fait pas entendre les tragiques imprécations de la co- lère; sa douleur est celle d'une épouse chrétienne :
A ce triste récit dont mon âme est surprise
Mon courage se pert, ma constance s’épuise ;
Mais il faut résister à de si rudes coups,
Et dedans ma douleur rencontrer mon espoux..….
Ne versez point, mes yeux, de larmes sur son sang. Mon espoux nasquit prince , il est en plus haut rang Il porta la couronne , il en porte une encore
Qui ne pèse pas tant et qui bien plus l'honore ;
JACQUES POUSSET. 59
Qui ne relève point ny des lois, ni du temps,
Et que le ciel enfin garde à ses combattans.
Je sçay que ma douleur est la douleur publique,
Qu'on ne peut appeler ma perte domestique,
Qu'elle afflige l’estat, qu’elle estonne les loix,
Destruit l’ordre du sang et fait craindre les rois.
Mais plaindray-je un vainqueur tombé sous ses trophées ? Croiray-je ses vertus sous le glaive estouffées ? Penseray-je que, mort, il cesse d’estre roy ?
Et puis-je le pleurer sans douter de ma foy ?
Non, ne trahissons point ny mon cœur, ny sa cendre...
Mais la mort d'Hermenigilde n’est pas le seul mal- heur qui doit éprouver le courage d'Indegonde. Elle a eu de ce prince un fils bien jeune encore ; on lui apprend quil vient de mourir. Elle dit :
Le dessein que je prends est d’estre , en ma misère, Constante pour le fils ainsi que pour le père.
Cher fils, mon cher appuy, gage de mon amour, Qui vis en mesme temps et la guerre et le jour... de ne te pleure point, lorsque je considère
Que la foy t’a donné le repos de ton père,
Et que tu vis encore , en despit du tombeau, Puisque cette lumière esclaira ton berceau.
D'un père généreux chère image perdue,
Fils de l'aigle esprouvé qui le suis dans la nue, Qui mesprise la terre , et qui, d’un vol pareil, Approches, comme luy, la couche du soleil,
Ton trépas peu m’estonne , et, bien loin de te plaindre, J'attends le jour heureux pour te pouvoir atteindre. Ce jour sera pour moy de triomphe et de paix,
Je verray le bonheur pour m'y joindre à jamais, Et la mesme vertu qui maintenant s’employe
04 JACQUES POUSSET. A combattre mes pleurs, modérera ma joye. Adieu sceptre , grandeurs , fortune des humains! J’avois pris de la boue et j'en lave mes mains ; Mon esprit est guéry du souhait de l'empire, Après ce que j'ay veu, ce n’est pas où J'aspire. Je ne veux point d'honneur qui ternisse mon rang ; Celuy qui tient l’estat dégoutte de mon sang, Et n’a creu s'assurer en ce droit légitime Que par l’achèvement d’un effroyable crime...
Il y a sans doute de l’exagération dans ces senti- ments. P. Corneille avait fait représenter Polyeucte en 1640; Indégonde est évidemment une imitation de Polyeucte, et, comme le dénouement de cette pièce avait eu le plus grand succès , Montauban l’a remis en scène. Mais le défaut commun des imitateurs est d'aller bien au-delà de leur modèle, d'ajouter même à la fiction. Nous n’avons pas à dissimuler que notre poète est tombé dans cet excès ; des éloges sont dûs toutefois à ces vers pleins, sonores , vigoureux, que nous venons de reproduire.
Nous ne connaissons pas d'autres tragédies de Pousset de Montauban qu'Indégonde et Zénobie; on Jui attribue encore Thyeste, tragédie qui na pas sans doute obtenu beaucoup d'applaudissements , car elle n'a pas êté imprimée. Il a fait, en outre, représenter plusieurs pièces moitié comiques, moitié tragiques, qui paraissent avoir été plus goûtées, et qui, de nos jours, le seraient peu. Nous en avons trois sous les yeux : Les Charmes de Félicie, Seleucus et le Comte de Hollande, imprimées chez G. de Luine , en 1654. Il est, de plus , l’auteur supposé de Pantagruel, co- médie imprimée en 1674, et des Aventures de Panurge,
JACQUES POUSSET. 55
autre comédie en cinq actes, représentée en cette année 1674, mais qui ne fut pas vraisemblablement jugée digne de l'impression.
Les Charmes de Félicie, tel est le titre d'une pasto- rale plus galante que dramatique, dont le sujet est pris de la Diane de Montemaior. Il y a dans cette pièce quelque esprit et des vers faciles. Seleucus est un imbroglio qui n’a rien de comique ; au lieu de grandes passions, on y trouve de grandes périodes, de ridi- cules fanfaronnades , et des esquisses de caractères faux; c’est, en somme, une pièce fort médiocre. Le Comte de Hollande est de même fabrique : presque tous les personnages sont supposés, et si, dès le début de la pièce, quelques monologues ou quelques vers récités d voix basse ne donnaient pas au public le dernier mot de toutes les énigmes , la curiosité pourrait être fort excitée jusqu’au dénouement ; mais peut-être aussi l'attention du spectateur se lasserait-elle avant la fin du premier acte.
Pousset de Montauban paraît avoir affoctionné ces tours de force dramatiques : il n’y a rien de simple dans sa manière, rien de vrai; dans l’ensemble et dans le détail, il exagère tout; d’une fiction qui pourrait être la matière d'une scène pathétique, il fait un drame en cinq actes, durant lesquels les mêmes personnages ne font que répéter les mêmes propos. Il a surtout abusé des suppositions de personnes. Mais ce n’est pas un écrivain vulgaire : ses périodes ont de l’am- pleur, son vers est ferme, il parle bien une belle langue, la langue de P. Corneille.
On ne connaît pas la vie de Pousset de Montauban ; on sait seulement qu’il vivait dans l'intimité de Racine,
56 JEAN DE SPINA.
de Boileau et de! Capelle. Il était aussi des amis de Costar : dans les Lettres de Costar, on en trouve six qui lui sont adressées (1).
SPINA (3EAN DE).
JEAN DE SPINA, ou plutôt JEAN DE L'ESPINE, né à Daon, en Anjou, à l'extrême limite du département de la Mayenne, fut d'abord religieux Augustin , puis ministre protestant. El mourut à Saumur en 1594. La Croix du Maine a connu ce Jean de l'Espine, mais, sans indiquer le titre de ses ouvrages, il nous renvoie au catalogue des livres censurés par la Sorbonne. Du Verdier nous fournit d’autres renseignements. Les traités de Jean de l'Espine sont, pour la plupart, des pamphlets théologiques de médiocre valeur. Le premier qu'il publia, suivant Du Verdier, a pour titre : Traîitté pour oster la crainte de la mort et la faire désirer à l’homme fidèle; Lyon, Lertout, 1558, in-8. Vient ensuite : Discours du vray Sacrifice et du vray Sacrificateur, œuvre monstrant à l'œil, par les tesmoi- gnages de Saincte Escripture, les resveries et les abus de la messe ; 1563, in-8, sans autre indic. ; et Lyon, Ravot, 1564, in-8. C’est un manifeste de vingt-trois pages contre la liturgie romaine. Le plus remarquable des écrits de Jean de l’Espine que nous ayons pu nous procurer, est le suivant : Trailté consolatoire et fort
(1) Ce sont les lettres 10, 11, 12, 177, 235, 275.
JEAN DE L'ESPINE. 57
utile contre toutes afflictions qui adviennent ordinai- nairement aux fidèles chrestiens; Lyon, Saugrain, 1565, in-8. Ce discours est à l’adresse des protestants : l’au- teur les encourage à se raiïdir contre la persécution, à opposer le glaive au glaive, et à ne jamais déses- pérer de la cause des saints : la péroraison de cette harangue séditieuse est en faveur de la liberté de conscience. Jean de l’Espine publia l’année suivante : Traité des tentations et moyen d'y résister; Lyon, Saugrain, 1566, in-8. On a encore de lui : Défense et confirmation du traité du vray Sacrifice et Sacrifica- teur; Genève, Bezart, 1567. Cet opuscule est une réplique aux objections faites contre le Discours du vray Sacrifice, par René Benoist, Angevin, curé de Saint-Eustache, à Paris. La Croix du Maine se trompe vraisemblablement, quand il nous dit que l’ouvrage de René Benoist , auquel répond Jean de l'Espine, fut publié dès l’année 1562.
ESPINE (35EaN DE L’).
JEAN DE L’ESPINE , Manceau, qu'il ne faut pas confondre avec le précédent, exerçait auprès de la reine de Navarre les fonctions d’astrologue et de mé- decin. Suivant La Croix du Maine, « il a traduit du latin en françois plusieurs prophéties des Sibylles et révélations de madame saincte Brigide, Cassandre et autres , etc. » Cet ouvrage n’était pas imprimé en 1584, et ne l’a pas été depuis cette époque.
98 JEAN DE TANLAY. ALTON (Gervais).
Ansart inscrit au nombre des écrivains nés dans le Maine GERVAIS ALTON, doyen d'Oisé, curé de Cou- longé. Gervais Alton est auteur d’un petit livre fran- çais, publié sous ce titre latin : Enchiridion, seu Ma- nuale ad ‘usum parochorum pro visitatione et cura infirmorum ; Cenomanis , H. Olivier, 1654, in-16. Ce livre est un commentaire du rituel d'Emeric de la Ferté ; il est dédié par l’auteur à Philbert-Emmanuel de Beaumanoir.
TANLAY (5EAN DE).
Au témoignage d'Echard (1) et de Dom Housseau (2), la bibliothèque de la Sorbonne possédait un manuscrit contenant divers sermons du XIIT° siècle recueillis par Pierre de Limoges, et dans ce recueil se trou- vaient trois sermons d’un frère mineur nommé Jean du Mans , Joannes de Cenomanis. D'autre part, un manuscrit sur vélin de la bibliothèque Colbert, inscrit aujourd'hui sous le n° 3,702 parmi les manuscrits de la bibliothèque du roi, sous ce titre singulier : Le livre du Chantre, Liber Cantoris, nous est donné comme
(1) Script. Ord. Prædic., t. 1, p. 269. (2) MSS. de la bibl. du roi, cartons de Dom Housseau, carton XXX.
+
JEAN DE TANLAY. 59
renfermant un abrégé des leçons de Théologie morale faites par Jean, évêque du Mans, « ex dictis Joannis, Cenomanensis episcopi. » Ce manuscrit étant du XIILe siècle, l'évêque du Mans ici désigné ne peut être que le premier des pasteurs de cette église qui ait porté le nom de Jean, c'est-à-dire , le successeur de Geoffroi d’Assé, EAN DE TANLAY, qui occupa le siége épiscopal du Mans de l’année 1277 à l’année 1294 (1). Or, on suppose que Jean le frère Mineur et Jean l'évêque, ayant vécu vers le même temps, sont le même personnage, auquel on attribue les Sermons recueillis par Pierre de Limoges et le cours de théo- logie morale dont le Liber Cantoris nous offre le ré- sumé. On ajoute qu'avant d'être pourvu de l'évêché du Mans , Jean de Tanlay avait sans doute , ainsi que son prédécesseur Geoffroi d’'Assé, exercé l'emploi de scholastique et de chantre dans l’église cathédrale de Saint-Julien ; ce qui donnerait l'explication de ces mots : Liber Cantoris. Nous ne savons rien opposer à ces diverses hypothèses, mais comme elles nous semblent fort aventureuses , nous ne voulons pas les prendre sous notre responsabilité. Il faut lire, sur Jean de Tanlay, l’article plein de réserve publié par M. Lajard dans le tome XX de l'Histoire littéraire de la France.
Mais peut-être s'est-on déjà demandé pour quel motif nous plaçons Jean de Tanlay au nombre des
(1) Suivant Le Corvaisier, Bondonnet et Dom Colomb. La date de sa promotion à l’épiscopat est, suivant C1. Robert, l'année 1274. M. Lajard { Hist. litt. de la France , t. xx, p. 103) adopte l'opinion de quelques annalistes qui le font .mourir en 1291. Il est difficile de faire un choix entre ces dates arbitraires.
60 JEAN DE TANLAY.
écrivains nés dans le Maine. C'est une question à laquelle nous devons répondre. Dans les archives de l'église du Mans, le successeur de Geoffroi d’Assé
porte ces noms divers : Joannes de Tanlayo , Joannes :
de Chanliaco, Joannes de Challeio. En adoptant le premier de ces noms, on trouve qu'une branche de l'illustre maison de Courtenay possédait le fief de Tanlay, et que les seigneurs de cette branche, issus de Guillaume de Courtenay, quatrième fils de Pierre de France, se faisaient appeler sieurs de Tanlay dès la fin du XIIe siècle. Ce renseignement pouvant servir de matière à plus d'une conjecture, on donne pour père à Jean, évêque du Mans, Jean II de Tanlay, mort le 15 juillet 1281, qui, de son mariage avec Mar- guerite de Plancy, dame de Saint-Winemer, eut cinq enfants désignés par les généalogistes. Nous lisons, en effet, que le quatrième de ces enfants portait le nom de Jean et qu’il mourut dans les dernières années du XIII siècle ; mais on nous dit qu'il mourut doyen de l'abbaye d'Ouincy (1) et non pas évêque du Mans, ce qui nous porterait à croire que Le Corvaisier et Bon- donnet ont introduit par fraude l'évêque Jean dans la maison royale de Courtenay. Un religieux bénédictin, dont les notes manuscrites ont été consultées par M. Lajard, Dom Henri, propose de lire Joannes de Chanliaco, et traduit ces mots par ceux-ci : Jean de Chanlay. Mais ce lieu de Chanlay ne se rencontre sur aucune carte et dans aucun livre de géographie. Il semble plus sage à M. Lajard de supposer que le nom du successeur de Geoffroi d’Assé fut Joannes de Chal-
(1) Dictionn. de Moréri, à l’article Courtenay.
JEAN DE TANLAY. 61
leio, Jean de Challe. Le bourg de Challe, de l’archidia- coné et du doyenné de Montfort, au Maine, étant dési- gné dans les anciens cartulaires sous les noms de Calla, de Chala, de Chalæ, de Challa et de Challeium (1), l’opinion de M. Lajard n’est pas assurément dépour- vue de vraisemblance. C’est pourquoi, ne sachant trop à quelle conjecture nous arrêter, nous avons cru devoir prudemment inscrire au catalogue des écrivains “originaires du Maine le nom problématique du qua- rante-huitième évêque du Mans, auteur supposé des Sermons recueillis par Pierre de Limoges et des leçons de Théologie morale conservées dans le Livre du Chantre.
Les annales ecclésiastiques du diocèse contiennent peu de renseignements sur les actes de son épiscopat. Les chanoines assemblés avaient désigné pour succes- seur à Geoffroi d’Assé, Guillaume Roil , leur doyen, a homme d’une grande capacité et d’une rare vertu ; » mais ce modeste vieillard refusa le glorieux pallium de Saint-Julien, et le pape Nicolas IIT appela sur le siége du Mans le présomptueux , hautain et violent Jean de Challe ou de Tanlay, « au grand dommage de la cathé- drale et de tout le diocèse (2) ». Offensée par ses mauvais procédés, la noblesse du Maine se souleva bientôt contre lui, ravagea ses terres, incendia ses domaines, ses granges, ses blés, saisit ses métayers, et les mit aux fers. Dans tout le diocèse on courut aux armes, les uns prenant le parti des nobles, les autres celui de l’évêque : le siége fut mis devant les forte-
(1) M. Cauvin, Géographie ancienne du diocèse du Mans. (2) Le Corvaisier, Hist. des Ev. du Mans.
62 RENÉ CHARTIER,
resses épiscopales de Ceaulcé, d'Yvré, de Touvoye, et l'on vit Jean de Tanlay sortir de son palais pour se rendre à la cathédrale, ayant pour escorte quarante ou cinquante cavaliers. Il ne fut pas seulement en guerre avec la noblesse du Maine; il eut aussi avec ses cha- noines diverses querelles dont on ignore l'issue. Voilà tout ce que nous apprenons sur la vie de cet évêque.
Nous n’avons que peu de mots à dire sur les deux manuscrits à l’occasion desquels M. Lajard a parlé de Jean de Tanlay. Le recueil de Pierre de Limoges, vu dans la bibliothèque de la Sorbonne par Echard et par Dom Housseau, n’a pas été retrouvé par M. Lajard parmi les manuscrits de cette maison transférés à la bibliothèque du roi. lls’y trouve cependant. Inscrit au catalogue de la Sorbonne, sous le n° 900, il porte aujourd’hui le n° 786, et il contient en effet un grand nombre de sermons prononcés, dans diverses églises de Paris , durant les années 1272 et 1273. Les trois sermons de Jean du Mans doivent être le huitième , le dix-huitième et le cent-quatre-vingt-treizième de ce recueil. Quant aux dissertations morales qui ont pour titre : Liber Cantoris , elles ont été lues par M. Lajard, qui les a jugées peu dignes d'estime.
CHARTIER (RENÉ).
Suivant les registres de la faculté de médecine de Paris, consultés par l'abbé Goujet, et la Bibliothèque Chartraine de Dom Liron, RENÉ CHARTIER serait
RENÉ CHARTIER. 63
de Vendôme ; mais suivant Guill. Duval, dans son Collége de France, le lieu natal de ce médecin cé- lèbre serait la ville de Montoire, en Vendômois, au diocèse du Mans. Entre ces deux assertions, nous ne savons pour laquelle nous prononcer : cependant, pour éviter le reproche d'avoir commis une omission grave , admettons sous toutes réserves que René Chartier ait pris naissance dans le même lieu que son ami Ch. Bouvard, à Montoire, en l’année 1572.
Il étudia tour à tour les lettres , la philosophie, les mathématiques, la jurisprudence, la théologie et la médecine. Déjà connu par diverses productions poé- tiques, au nombre desquelles on compte plusieurs tragédies latines , il fut appelé dans la ville d'Angers pour y professer les belles-lettres. C’est alors qu'il composa et fit réciter à ses écoliers une pastorale la- tine de seize cents vers sur la conversion de Henri IV à la religion catholique. D’Angers, René Chartier se rendit à Bordeaux, où il enseigna les mathématiques ; puis à Bayonne, où il fit un cours de rhétorique. Etant dans cette dernière ville, il prit le parti de re- noncer aux lettres, pour consacrer tous ses loisirs à l'étude des sciences naturelles, et, quittant les murs de Bayonne, il s’en alla parcourir les Pyrénées , obser- ver et recueillir les plantes agrestes de ces monta- gnes déjà tant de fois explorées. Après avoir achevé ce pélerinage scientifique, Chartier vint à Paris assis- ter aux cours de l’École de Médecine, et fit avec éclat, le 9 mai 1606, les paranymphes de cinq licen- ciés , au nombre desquels se trouvait Ch. Bouvard (1).
(1) Hist, Litt. du Maine, t. 11, p. 411.
G4 : RENÉ CHARTIER"®
Ce discours a été imprimé. Dans la même année, il fut reçu bachelier. L'abbé Goujet nous fait connaître le titre des deux thèses qu’il soutint devant ses exami- näteurs, présidés par Ch. Bouvard et par Duret : l’une est vraiment médicale; l'autre, qui est une facétie dans le goût du temps, a pour argument cet étrange problème : La femme est-elle une aberration de la nature, un animal imparfait, un monstre? Sa thèse pour la licence, qu'il développa, dans trois séances consécutives, nous le montre très-zélé partisan de la phlébotomie. Il obtint le grade de licencié le 19 ma; 1608, et, peu de temps après, les insignes du doc- torat.
Après avoir occupé, pendant trois ans, les chaires de chirurgie et de pharmacie , il fut nommé, en 1612, médecin des dames de France, filles de Henri IV , et, en 1613, médecin ordinaire du roi Louis XIII. En 1617, Etienne de La Font, professeur de chirurgie au Collége Royal, ayant été contraint par son âge et par ses infirmités de résigner la chaire qu’il occupait avec honneur, elle fut donnée à René Chartier. Il y pro- fessa pendant six ou sept ans devant un auditoire nombreux, et ne l’abandonna que pour aller en Espagne auprès d’une des dames de France, Elisa- beth , mariée à Philippe IV. Après quelque temps de séjour en Espagne, il fut curieux de connaître l'Italie, et se rendit auprès de madame Christine, mariée, dès l’année 1619, à Victor Amédée, duc de Savoie : quittant ensuite l'Italie , il partit pour l'Angleterre et fut honorablement reçu par Charles Ier, qui venait d'épouser une de ses. augustes clientes, madame Henriette-Marie. Il mourut le 29 octobre 1654, à
4
Ps
RENÉ CHARTIER. 65 l’âge de 82 ans , d’une attaque d’apoplexie qui le sur- prit à cheval. |
On ne connaît de René Chartier aucun ouvrage ori- ginal, mais il en fit paraître un grand nombre comme éditeur. C’est à lui qu’on doit la première édition des Scholies de L. Duret, sur le Traité des Maladies In- ternes de Jacques Houllier : Ludovici Dureti Scholiu ad Jacobi Holleri librum de Morbis Internis; Lute- tiæ, 1611, in-4°. Il a publié pour la première fois les OEuvres médicales de Barthélemy Pardoux : Bartho- lomæi Perdulcis Universa Medicina ex medicorum principum sententiis consiliisque collecta; Parisiis, 1630, in-4°. On lui doit encore , suivant l'abbé Gou- jet, une édition de la Chirurgie d'Etienne Gourmelan, et une traduction latine du traité de Palladius sur les Fièvres : Palladii de Febribus concisa Synopsis; Parisiis, 1646 , in-4°. S'il faut en croire M. Peignot (1), cette traduction est de Jean Chartier, fils de René, Le plus important de ses travaux philologiques est son édition d'Hippocrate et de Galien : Hippocratis Coi et Claudii Galeni Pergamen: archiatron Opera, en treize volumes in-fol, Les six premiers volumes de cette collection, ainsi que le huitième et le trei- zième parurent en 1639; le septième et le douzième, en 1649; le neuvième, le dixième et le onzième ne furent publiés qu'en 1679, c’est-à-dire vingt-cinq ans après la mort de Chartier, par les soins de Blondel et de Lemoine, docteurs de la faculté. Cette édition nouvelle d'Hippocrate n’eut pas autant de succès que celle d'Anutius Foes : elle ruina l’auteur et
(1) Dict. Hist. III | 5
66 PIERRE DE CLINCHAMP.
sa famille. L’'appréciateur le plus compétent et le plus équitable de tous les travaux entrepris jusqu’à ce jour sur Hippocrate, M. E. Littré, s'exprime ainsi sur l’œuvre de notre Vendômois : «a L'édition de Chartier est très-incommode à cause du nombre des volumes et du mélange des livres d'Hippocrate avec ceux de Galien ; mais, du reste, elle m'a semblé mé- riter plus de faveur qu'on ne lui en accorde ordinai-
rement (1). »
CLINCHAMP (PIERRE DE).
La Croix du Maine parle de lui en ces termes : « Messire Pierre de Clinchamp, chevalier de l’ordre du roy, seigneur de la Buissardière au Maine, etc., etc. Ce seigneur a esté fort amateur des lettres et avoit beaucoup d’érudition, comme j’ay entendu par quel- ques-uns de mes amis qui m'ont assuré qu’il avoit traduit quelques Décades de l'Histoire Romaine de Tite-Live et autres autheurs. Elles ne sont en lumière. Je ne scay si la mort qui l’a prévenu en a esté cause, car 1l trespassa en sa terre et seigneurie de la Quin- tinière près Sainct-Calais, au Maine, l'an 1576, le jeudy 16 jour d’aoust. »
Ce Pierre de Clinchamp était frère de Mathurin et de François II de Clinchamp , et fils de Jean IIT de Clinchamp, sieur de la Rongère , ainsi que nous l’ap- prennent les archives de sa maison.
(1) Œuvres d'Hippocr., trad. de M. E. Littré, t.1, p. 549.
CHARLES BODRÉAU. 67 COSSET (5EAN).
La Croix du Maine parle aïnsi de 3EAN COSSET : « Frère Jean Cosset, gardien du couvent des Corde- liers au Mans, docteur en théologie à Paris, natif de la paroisse d'Espineu-le-Chevreul, au conté du Maine. IT a escrit un livre intitulé : La Bataille de Dieu et de Gédéon contre Madian, soubs la description de la ‘bonne et mauvaise conscience; imprimé au Mans, l'an 1553, par Iliérosme Olivier, auquel temps ledit frère Jean Cosset florissoit. » Nous n’avons pu nous procurer aucun autre renseignement sur ce Jean Cosset : l'écrit que lui attribue La Croix du Maine ne se trouve dans aucune des bibliothèques où nous l'avons recherché.
BODRÉAU (cæarces).
CHARLES BODRÉAU , fils de Julien {1}, a fait en l'honneur de son père les distiques suivants, que nous lisons en tête des Üllustrations et Remarques sur les Coustumes du Maine :
Plus præceptori quam se debere Philippo Magnus Alexander dixit Aristoteli. Si genitor præstat vitales luminis auras, = Præceptor mores formatet ingenium.
(1) Hist. Litt. du Maine, t. 11, p. 229.
68 R. POUILLOT. Âst pater obstrictus gemino pro munere nunc sum, Nam tibi quod vivo debeo , quod que scio : Doctis Cenomanum commentis jura resolvis E tenebris leges eruis arte nova. Ergo municipes et filius omnia debent , Dunm simul et nato consulis et patriæ.
LE TEISSIÉER (MATHURIN).
Le nom de MATHURIN LE TEISSIER se lit au cata- logue des auteurs du Maine , publié par l'abbé Ledru dans l'Annuaire de l’an IX , et, à la suite de ce nom, se trouve l'indication suivante : « Né à Mamers, théo- logien, mort en 1542. » Suivant une note manuscrite laissée par Dom Housseau (1), ce Math. Le Teissier ou Teissier aurait encore vécu en l'année 1590. Simler jui attribue un sermon dont nous regrettons de ne connaître que le titre : Mathurini Textoris, Mamer- tini, Oratio exhortatoria, in Cenomanensi synodo habita, de Dignitate et Officio sacerdotum.
om —
POUILLOT (r.....).
R. POUILLOT, curé de Sainte-Sabine, est auteur de Cantiques ou Noëls nouveaux, publiés au Mans chez G. Olivier , en l’année 1624, in-8. Ce recueil se
(1) Cartons de Dom Housseau , aux MSS de la biblioth. du Roi, carton 30.
R. POUILLOT. 69
compose de sept pièces. Voici celle dont le tour est le plus original :
Ayons tous le cœur joyeux En ce lieu, Puisque Dieu À pris humaine naissance. Aujourd’huy tous nos péchez Et meschetz Seront mis en oubliance. Marie nous l’a produit Ceste nuict ; Demenons resjouissance fer).
Ayant chassé le sommeil De mon œil, Au reveil, T1 m’estoit pris vn’ envie Du tourment des amoureux Malheureux Composer chanson jolie ; Car, le précédent matin Ma catin M'avoit mis en fantaisie (ter).
Je gardois soubs deux ormeaux Mes trouppeaux ; Mes aigneaux
Se paissoient d'herbe nouvelle ;
Lorsque j'ay ouy une voix Sur ces boys,
Pareille du Philomèle.
Qui m’a le plus emporté, Transporté,
Il est né d’une pucelle ! fter).
70
B. POUILLOT.
Puis soudain ayant repris Mes esprits, Je m’escry
Aux bergers en la prairie :
« Pasteurs faisons tous bon bruict, Ceste nuict,
Et allons voir le Messie.
Un ange m'a estonné : Dieu est né
De la pucelle Marie fter).
« Prenez tous vostre attirail , Le bergeail Et bestiail Laissez paistre en la prairie. Mais prenez de vos aigneaux Les plus beaux Pour présenter à Marie, Puisqu'elle nous a produict, Ceste nuict, Jésus, le vray fruict de vie (ter).
« Viença, dy moy, garsonnet Robinet, Collinet
T'a-il rendu ta musette,
Qu'il emprunta l’autre jour Pour l’amour
De son amie Perrette ;
Car il nous faut entonner Fredonner
Quelque belle chansonnette (ter).
Puis nous prirons à genoux L'enfant doux,
R. POUILLOT. 74
Qu’en courroux
De nous ne face justice;
Au jugement général , L'infernal
Ne nous attente du vice ;
Prions-le à joinctes mains Qu’aux humains
I1 veuille estre propice (ter).
Nous ne donnons pas ces couplets pour excellents, mais il y en a beaucoup qui valent moins dans les autres Recucils du même temps. Nous citerons encore quelques strophes de R. Pouillot : le poète ayant eu la burlesque fantaisie de mettre en scène, dans un noël , les habitants les plus connus de Sainte-Sabine et des bourgs voisins , les fait accourir en toute hâte, sous la conduite de M. de Sévillé, seigneur du lieu, près de la crèche où repose le fils de Marie :
Premier Monsieur de Sevillé (bis) En gayeté a reveillé Madamoiselle, Et sa mandorre attelé Au son de sa vielle.
Après faict battre le tambour (bis) Et envoye Guybert au bourg Sonner la cloche ; Là où si vistement il court Qu'il y rompt sa galloche.…
Messir’ Mathurin et Bedeau (bis) Sçauoient desjà ce faict nouveau, Car, sans feintise , Estoient avec Guy Cosnuau Ensemble à l'église.
R. POUILLOT.
Ambroys Fouchart et Le Tessier (bis) Ont esveillé Le Chappelier, Buon encore ; Le Boullanger et les Ouziers Commencoient à esclore.
Les deux Gipteaux ne pensoient pas Qu'il nous survinst un si grand cas En ce mystere...
Le Cormier s’y en est venu (bis), Un pied chaussé et l’autre nud, Tant avoit haste ; En passant luy a convenu Faire lever la Chatte.
Puis le tabellion Courtin (bis)
Ne veut attendre au matin: Luy et Helye
Sont venus avec Prémartin, Menans joyeuse vie...
Ce mystère n’est point caché (bis) Car tous les bourgeois de Poché En veulent estre... etc., etc.
Ces Noëls de R. Pouillot sont fort rares. Aucun bi- bliographe n'a mentionné même Île nom de ce poète
Manceau.
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GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 715 LANGEY DU BELLAY (GUILLAUME).
Le bourg de Glatigny , situé aux confins du Maine et distrait du diocèse du Mans en l’année 1791, a été Je lieu natal des six Du Bellay, illustres frères, qui exercérent les plus hauts emplois à la cour de Fran- çois I‘, et eurent un grand renom de conrage, de savoir et d'expérience (1). Leur famille était origi- naire de l'Anjou; on connaît et on désigne encore
.. (1) De ces six frères, il y en a quatre desquels nous devons nous occuper ici : les deux autres furent Jacques , colonel de deux mille hommes, tué en Sicile , et Nicolas, chevalier de Malte. Nous n'avons d’autres renseignements sur celui-ci que ceux que nous trouvons dans une lettre de Jean du Bellay, imprimée dans les Preuves de l’Histoire du divorce de Henri VIIT, par Le Grand:
« M. de la Roche du Maine m'a escript que ayant sceu la mort du frère Bernardin, et que le roy vous avoit donné toute sa des- poüille, il avoit parlé pour mon frère, commandeur de fieffes, affin qu’il vous pleust luy laisser la charge des galères , et que vous luy en aviez fait très-bonne response , dont humblement vous mercye et vous supplie, Monsieur, ainsi le vouloir faire, vous asseurant sur mon honneur que ne la scauriez bailler à homme qui feust pour plus mettre peine à vous y faire service. De long- temps luy désirons tel avancement, voyant toute sa fantaisie à la mer : à cette heure mieux luy aimerois au double, estant soubs vostre main comme sont ses aultres frères. Îl ne me desplaist que d'une chose, c’est qu’il n’a esté si heureux d’estre de vous cogneu et vous avoir fait service, car je suis seur que l’eussiez bien trouvé à vostre goust; mais il n’a gueres peu se trouver à la court, pour avoir esté continuellement sur mer depuis l’aage de dix ans jusques à présent, où j'ose dire, après les rapports de ceulx qui se y cognoissent mieux que moy, qu’il n’a obmis une seule chose de ce qu’il fault faire pour entendre le mestier : de sorte que je pense qu'il l'entend aussi bien que nul de son aage, et de cette heure sont avec luy, oultre les mariniers qu'il a retirés de sa cognoissance , une douzaine de gentilshommes, partie che- valiers de Rhodes , qui estans de bonne maison et expérimentés de longtemps , ne l'auroyent suivy s'ils n’avoyent bonne ertance
Li
à luy.
74 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
quelques-uns de leurs aieux par les belles actions qui ont recommandé leur mémoire (1).
GUILLAUME DU BELLAY, né en 1491, fut l’ainé des fils de Louis du Bellay, seigneur de Langey, d'Ambrières et de Lavenay, et de Marguerite de La Tour-Landry. Bien que destiné, dès l'enfance, à la profession des armes, « comme est la coûtume et ordinaire vacation de la noblesse françoise (2), » Guillaume reçut une éducation libérale : aussi, dès qu'il parût à la cour, il s'y fit remarquer malgré sa
(1) « Jam inde a Capeti regis temporibus,.….. Bellaiorum gens et genereillustris etrerum gestarum magnitudine nobilis enituit.» Scævole de Ste-Marthe , Elogia Gallorum, p. 15.
Salmon Maigret, ou Macrin , a célébré dans ces vers asclépiades la gloire de la famille du Bellay :
Vatis dexter ades carminibus tui, Nec cantus citharæ despice Lesbiæ Bellai, proavis edite Martiis, Quorum gloria erit clara perenniter Per fastos memores , atque diaria Francorum , a Capeto tempus ad hoc Duce ; Qui ductum serie continua genus Augentes titulis splendidioribus, Rem semper patriam militiæ ac domi Provexere, boni consilio, manu, Fido regibus et pectore Gallicis.
Si quando inciderent dura negotia ; Si turbata nigro tempora nubilo, Hostilisque metus incuteret furor, Adversum oppositæ tela Britanniæ, Funestisque levem seditionibus
Et rapto solitam vivere Flandriam, Bellaii fuerant murus aheneus.
A Bello inde tuis ducta vocabula
Ces vers se trouvent en tête du liv. 1er des Hymnes de Salmon Macrin.
(2) Thevet , Histoire des Scavants hommes , en la vie de Guill. du Bellay.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 75
jeunesse. L’ignorance n'était pas encore très-mal notée dans le palais de nos rois, mais, du moins, commençait-on à y faire état des lettres et des lettrés ; Louis XIL venait de descendre dans la tombe, et de laisser la couronne au fils du comte d'Angoulême, le favori des poètes , l’ami des philosophes, au brillant François Ier. Guillaume Du Bellay, qui était à peu près du même âge que ce prince, et qui avait ses goûts et son humeur, fut bientôt admis dans sa familiarité. Quand , à peine monté sur le trône , François Ier courut conquérir le Milanais, Guillaume Du Bellay fut un des gentilshommes qui l’accompagnèrent dans cette aventureuse expédition; il fut aussi du nombre de ceux qui furent, avec lui, faits prisonniers à la bataille de Pavie (1).
Guillaume Du Bellay revint en France dès qu'il eut payé le prix de sa rançon. Bien que Charles-Quint fit faire bonne garde autour de son royal prisonnier, et ne lui permit d'entretenir aucune correspondance avec la régente, celle-ci avait reçu d'Espagne de fà- cheuses nouvelles ; on lui disait que les ennuis de la captivité avaient altéré la santé de son fils, et l’a- vaient peut-être sérieusement compromise. Ayant été le confident de ses inquiétudes, Du Bellay partit pour l'Espagne , parvint jusqu'à Madrid par des che- mins détournés, vit le roi pendant quelques instants, et revint à la hâte annoncer que sa maladie ne devait pas avoir de suites graves (2).
(1) Mémoires de Martin du Bellay, édit. de l'abbé Lambert t. 1, p. 408.
(2) Jbid.,t.n, p. 19.
76 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
Quand, à la faveur du traité de Madrid, dont les articles furent si promptement contredits par ceux du traité de Cognac, François I°r rentra dans son royaume, et s'empressa d'envoyer une armée en Italie pour chasser les Impériaux du Milanais, Guil- Jaume Du Bellay fut chargé d'aller veiller sur les inté- rêts de la ligue conclue entre le pape , les Vénitiens, les Suisses, les rois de France et d'Angleterre. Il s’acquittait de ce devoir, quand il apprit que le con- nétable de Bourbon avait formé le projet de surpren- dre Florence, de livrer cette ville au pillage, et d'aller ensuite occuper la capitale des Etats-Romains : il se hâta d’avertir le marquis de Saluces, lequel, s'étant porté sur la route de Florence avec le duc d'Urbin, arrêta le connétable dans sa marche. Du Bellay se rendit ensuite à Rome. Mais tel était l'aveuglement des conseillers de la cour romaine, qu’ils ne tinrent pas compte de ses prudents avis. L'ennemi se pré- senta, s’empara des faubourgs de la ville, et contrai- gnit le pape à chercher un refuge dans le château Saint-Ange. Le connétable allait franchir les portes de Rome, à la tête des bandes impériales, quand Du Bellay, ne prenant alors conseil que de lui-même, rassemble deux mille hommes qu’il fait placer sur les remparts. Le combat s'engage. Le connétable, atteint d’un coup de feu, tombe mourant aux pieds du prince d'Orange ; mais bientôt les assiégés, accablés par le nombre, quittent en désordre leurs murs envahis. Du Bellay ne sait pas tourner le dos à l'ennemi; en- touré de quelques braves, il gagne en combattant le château Saint-Ange, s'y enferme et s’y maintient, tandis que les lansquencts, maitres de la ville, dé-
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY,. 71
vastent les églises , égorgent les prêtres et violent les femmes. Cependant , le prince d'Orange rappelle les pillards autour de lui, et va mettre le siége devant le château Saint-Ange. Léon X pense que toute rési- stance est vaine, et, sommé de se rendre, il accepte les termes de la plus humiliante capitulation. Mais il ne convient pas à Du Bellay de céder à de telles conditions , et, faisant à l'ennemi bonne contenance, il obtient que les troupes confédérées sortiront de la forteresse avec armes et bagages (1). Léon X avaitlivré son trésor et toutes ses places pour avoir la vie sauve, et il s’éloignait capüf de la ville sacrée, abandonnée en proie aux goujats d'une armée luthérienne, tandis que les milices françaises, conduites par Du Bellay, se retiraient en bon ordre avec les honneurs de la guerre , et allaient chercher l’ennemi sur d’autres champs de bataille. |
Nous lisons dans Brantôme : « Entre grands points de capitaines qu'avoit M. de Langeay, c'est qu'il dé- pensoit fort en espions : ce qui est très-requis à un grand capitaine, comme je le tiens de bien grands et l'ai veu pratiquer : et estoit fort curieux de prendre langue et avoir avis de toutes parts ; de sorte qu’or- dinairement il en avoit de très-bons et vrais , jusqu'à sçavoir des plus privez secrets de l'empereur et de ses généraux , voire de tous les princes de l’Europe : dont on s'estonnoit fort, et l’on pensoit qu'il eust un esprit familier qui le servist en cela. Maïs c’estoit son argent , n'épargnant rien du sien quand il
(1) Mémoires de Martin du Bellay, t. 11, p. 47 et suiv.
78 GUILLAUMR DE LANGEY DU BELLAY.
vouloit une fois quelque chose (1). » Il est, en effet, bien digne de remarque, que, dans toutes ses négo- ciations, c'est-à-dire, durant tout le cours de sa vie si laborieusement employée au service du roi, Du Bellay fut toujours instruit des secrets des princes et connut même les instructions des simples chefs de bandes. Nous venons de le voir déjouer ainsi les pro- jets du connétable de Bourbon sur la ville de Flo- rence : l’année suivante, 1528, il apprit, par une voie également mystérieuse, qu'André Doria, comman- dant les forces navales de l’expédition, était sur le point d'abandonner la cause de l'indépendance ita- lienne, pour mettre ses galères et celles du roi de France au service de l’empereur. Comme il avait avec André Doria d'anciennes relations, il se rendit à Gènes et s’efforça de prévenir une défection qui pou- vait avoir de graves conséquences. Doria lui confia ses griefs : Du Bellay les trouva fondés et se rendit alors auprès du roi, devant lequel il s’empressa de les exposer, n’oubliant pas de dire qu’à son avis il importait d'user de ménagements avec un homme fier et violent comme l'était André Doria, et que rompre avec Gênes, c'était renoncer à prendre Naples. Cet avis ne fut pas celui du maréchal de Montmorency et du chancelier Duprat, qui exerçaient la plus haute influence dans le conseil du roi : les requêtes des Gênois furent mal accueillies , et l’ordre fut donné d'arrêter André Doria. Mais il était plus facile de donner cet ordre que de l’exécuter : avertis par quel- ques amis, le chef de notre escadre se déclara pour
(1) Brantôme, Hommes illustres, vie de M. de Langeay.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 79
l'empereur , et courut avec ses galères au secours de la ville de Naples, dont il fallut bientôt lever le siége (1). Cette retraite compromit d’une manière irréparable les affaires des confédérés , le parti de l'empereur reprit l'avantage sur tous les points, et, pour n’avoir pas suivi les sages conseils de Du Bellay, François perdit l'Italie presque conquise , et fut con- traint d'accepter, au mois de juillet 1529 , les clauses de l’humiliant traité de Cambray.
Par cetraité, François avait contracté l'engagement de payer, pour sa rançon, deux millions d’écus d’or au roi d'Espagne. Sur cette somme, neuf cent cin- quante mille écus devaient être comptés à Henri d'Angleterre. Comme il était difficile au roi de France de trouver dans son trésor épuisé de quoi satisfaire à ces onéreuses obligations, il voulut essayer d’entrer en arrangement avec Henri VIII. Du Bellay fut chargé de cette importante négociation. Quand il aborda le roi d'Angleterre, celui-ci, tout occupé de sa passion pour Anne de Boleyn, ne l'entretint que des motifs plus ou moins frivoles , sur lesquels il s’appuyait pour demander la rupture de son mariage avec Catherine d'Aragon. Du Bellay comprit que cet homme, exalté jusqu’au délire par ses instincts pervers, se mon- trerait accommodant sur tout le reste, aussitôt qu'on aurait approuvé son projet de divorce. Pouvait-on toutefois, sans se rendre complice d’une faute hon- teuse, accorder une telle approbation? Ce fut sans doute avec douleur que Du Bellay transigea sur ce point; mais la nécessité conseillait à la France de sa-
(1) Mémoires de Martin du Bellay, t. 1, p. 128 et suiv
80 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAÏY.
crifier Catherine, et les conseils de la nécessité furent écoutés. Non seulement l'ambassadeur de François [°" à la cour de Henri VIII se prononça pour le divorce, mais encore il sollicita des Universités de France et d'Ita- lie un avis conforme au sien, et, tel était son crédit dans ces doctes assemblées, qu’il obtint d'elles ce qu'il leur avait demandé. Un tel service méritait assu- rément une récompense. Henri témoigna toute sa gra- titude, en donnant décharge au roi de France des neuf cent mille écus ; en outre, il lui prêta, pour cinq ans , quatre cent mille autres écus qui servirent à payer Charles V (1).
Quand, en l'année 1531, les princes d'Allemagne, soulevés contre la domination espagnole , vinrent prier le roi de France d'accepter la tutelle de leur confédération, Guillaume Du Bellay fut envoyé par le roi vers ces princes, dont il n’avait pas recherché, mais dont assurément il ne dédaignait pas l’alliance. Les conférences qu'eût avec eux Guillaume Du Bellay ne devaient pas avoir, toutefois, de résultat immé-— diat : le roi de France ne pouvait, sans des motifs suffisants, et il n'en avait pas de tels, manquer aux engagements pacifiques contractés à Cambray ; d’au- tre part, les princes allemands , jaloux de maintenir leur indépendance religieuse, ne voulaient pas néan- moins se séparer de l'Empire, et Charles V était empereur.
(1) Mémoires de Martin du Bellay, t. 11, p. 165. — Thevet, au lieu cité. — Langey était de retour en France avant le 18 sep- tembre 1529, comme nous le voyons dans une lettre de Jean du Bellay qui porte cette date : « Depuis le partement de mon frère, la perte s’est mise parmy nos gens. »
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 81
Du Bellay quitta l'Allemagne pour retourner en Angleterre. François et Henri devaient se rencontrer sur le continent, et former une nouvelle alliance : ils avaient, d’ailleurs , à s’entretenir de leurs griefs con- tre le pape, et à prendre un parti sur les prétentions fiscales de la cour romaine. Du Bellay se rendit à Londres pour préparer cette entrevue, qui eut lieu, dans la ville de Calais, au mois d'octobre de l'an- née 1532 (1). Quand Heuri VIIT eut prit le parti de rompre ouvertement avec la cour de Rome, qui refu- sait de transiger sur l'affaire du divorce, il voulut avoir encore un entretien avec Du Bellay, lui faire la confidence de son mariage secret avec Anne de Bo- leyn, et connaître l'opinion de cet habile homme sur les conséquences éventuelles de la rupture qu’il pré- parait. Du Bellay passa de nouveau le détroit, où quelques vaisseaux écossais, armés en guerre, lui donnèrent la chasse et l'avertirent que le roi d'Ecosse profitait des circonstances pour se déclarer, avec le pape et l'empereur, contre le roi d'Angleterre (2). Mais, du moins, Henri pouvait-il compter sur la France. Du Bellay lui promit encore une fois que si les hostilités étaient ouvertes par le parti du pape, François se hâterait de prendre les armes et de marcher au secours du roi son allié. La sentence d’excommu- nication ayant été prononcée par la cour de Rome,
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 11, p. 207. — Une lettre ma- nuscrite de Guill. du Bellay au sieur Pomponio de Trévoult, gou- verneur de Lyon, datée de Windsor, 10 sept. 1532, contient le détail de ce qui avait été réglé par cette entrevue. Cette lettre se trouve dans le recueil 1,832 de la bibliotb. du Roi (St.-Germain).
(2) Ibid., p. 261. III G
82 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
Henri répondit à cet arrêt en se déclarant chef de l’église anglicane, et pressa le roi de France d'agir comme lui. Celui-ci fut sur le point d'imiter cet exem- ple audacieux ; s'il en fut détourné par le cardinal de Tournon , il ne négligea rien, toutefois, de ce qu’il avait à faire pour remplir ses engagements envers le prince retranché de la communion catholique, et, tant que dura la paix, il surveilla toutes les démarches de l'empereur , et contraria toutes ses intrigues, avec la résolution de recommencer la guerre en temps op- portun.
Envoyé de nouveau dans les Etats-Germaniques, sous divers prétextes que l'empereur devait trouver plausibles, Du Bellay parut à la diète d’Augsbourg, et y plaida la cause des ducs de Wurtemberg, chassés de leurs domaines par Ferdinand, roi des Romains, obtint le rétablissement de ces princes sur le trône de leurs ancêtres, et fit prononcer la rupture de la ligue de Souabe que Charles V avait tant à cœur de main- tenir. On possède deux discours que Du Bellay pro- nonça devant la diète. Avant de l’entendre, les mem- bres de cette assemblée se montraient peu jaloux de prendre parti pour les princes héréditaires de Wur- temberg, qui avaient contre eux l'empereur et son frère, le roi Ferdinand; il les captiva, les entraîna par son éloquence , et toutes les résolutions qu'il crut de- voir proposer, réunirent le plus grand nombre des suffrages (1). Le roi de France fut proclamé tuteur des libertés germaniques. Le succès de cette ambas- sade contraria vivement Charles V : mais il avait pris
{1} Mémoires de Martin du Bellay, t. 11.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAWY. 83
l'engagement de se soumettre à la sentence de la diète, et, quel que füt son déplaisir, il ne put le manifester.
Vers la fin de l'année 1535, nous retrouvons Guil- laume Du Bellay dans les Etats-Germaniques , assis- tant à la diète de Smalcade, et s’efforçant de détacher les princes de la cause impériale. Du Bellay eut alors avec les théologiens du parti protestant, divers collo- ques où l'on parla beaucoup des affaires dela religion, mais où l’on ne décida rien. Melancthon, Pontanus, Jacques Sturm plaidèrent devant lui la cause des ré- formés, et se plaignirent des mauvais traitements que François avait récemment fait subir à quelques-uns de leurs co-religionnaires : il répondit que le roi son maître n'avait aucune disposition à l'intolérance, qu'il n’ignorait pas les désordres de l'église et qu’il avait à cœur de les voir cesser, mais qu'il ne pouvait autoriser que, sous prétexte de religion, on prêchât la révolte dans ses provinces; qu’il refusait d’ailleurs d’être l'arbitre des consciences, qu'il faisait cas des hommes sincères et bien famés de tous les partis, et qu’il aimait à les entendre exposer leurs sentiments contraires, mais qu'il ne pouvait épargner les artisans de discorde civile, sans compromettre l'autorité de son glaive , et manquer à ses devoirs envers Dieu {1). Quand Du Bellay s’exprimait en ces termes, au nom du roi, il ne disait pas toute la vérité. En effet, au commencement de cette année 1535, un bûcher dressé sur une des places principales de Paris avait reçu plusieurs luthériens, auxquels les juges séculiers
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 1, p. 196. — Sleidan, His- toire de l'Etat de la religion , iv. 1x.
84 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
n'avaient pas imputé d'autre crime que leurs senti- ments hétérodoxes. Mais il importait si fort à Fran- çois Je" d'obtenir la neutralité des électeurs de l'Em- pire durant la guerre prochaine, qu'il eût volontiers, à cette condition, cédé sur plus d’un point de doc- trine aux obstinés fauteurs de l’hérésie luthérienne. Il existe une pièce fort curieuse : c’est le procès-verbal de la conférence qui eut lieu, le 20 décembre 1535, entre Pontanus, chancelier de l'électeur de Saxe et l'ambassadeur du roi de France. Le discours rap- porté par Sleidan ayant paru suspect au P. Maim- bourg, Louis de Seckendorff eut à cœur de prouver la sincérité de l'historien protestant, et, dans son Histoire du Luthéranisme, il publia, d'aprèsles regis— tres manuscrits de l'assemblée de Smalcade , un ré- sumé très-substantiel des paroles échangées entre les interlocuteurs. Nous lisons, dans ce résumé, que, sur la’question de l'autorité papale, le roi de France déclare, par l'organe de Guill. Du Bellay, n'être pas très-loin de partager l'opinion des protestants ; il dit même expressément qu’à son avis le gouvernement monarchique établi dans l’église n’est pas d'institution divine. Sur la question de la cène, il avoue que la doc- trine de la présence figurée lui semble très-sensée , mais qu’elle est condamnée par tous les théologiens français. Sur d’autres problèmes, il ne fait pas des concessions moins importantes : il napprouve pas notamment la liturgie de l'église romaine en ce qui concerne l'invocation des saints; il est prêt à sous- crire à l'opinion de Mélanchton sur le libre arbitre ; il n’a jamais été pleinement convaincu de l'existence du purgatoire : que s'il est en dissentiment avec les
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théologiens protestants sur quelque affaire de doc- trine, c’est en ce qu'il ne saurait approuver le ma- riage des prêtres : il espère du reste qu’à sa demande les illustres docteurs réunis à Smalcade voudront bien lui envoyer quelques personnes dignes de leur con- fiance , avec lesquelles il aura de pacifiques entre- tiens (1). Bayle, rappelant ce procès-verbal de l’as- semblée de Smalcade, publié par Seckendorff, explique le langage tenu par Guill. Du Bellay pour le roi de France , en disant que les ambassadeurs ne sont ja- mais tenus de parler avec une entière franchise. Cette explication serait loin d’être une justification suffi- sante, si François [°' avait cru fermement aux articles catéchétiques de l’église romaine.
La troisième ambassade de Guill. Du Bellay près des électeurs de l'empire, n'eut qu'un résultat équi- voque. Cependant le roi était impatient de déchirer le traité de Cambray, et de rétablir l'honneur des armes françaises. Il choisit encore l'Italie pour champ de ba- taille. Ayant eu quelques différends avec le duc de Milan, il chargea l'amiral Brion de traverser les Alpes et d'aller envahir de nouveau les états de ce prince. L'amiral commença par s'emparer du Piémont, où l’on ne lui opposa qu’une faible résistance. Charles V guerroyait alors avec les pirates de Tunis : quand il reçut la nouvelle de l’occupation du Piémont, il ne _$e jugea pas en mesure de répondre au défi de Fran- çois, qui avait alors dans son camp le roi d'Angleterre et les princes d'Allemagne détachés de la ligue de Souabe, et il s’occupa d’abord d'obtenir l'amitié, ou
(1) Seckendorf, lib. ir , p. 109 et pag. 259.
86 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
du moins, la neutralité des alliés du roi de France. Henri no fit qu'un froid accueil à ses ouvertures em- pressées. Les agents de Charles V eurent plus de suc- cès dans les Etats-Germaniques. Ils allèrent publiant partout que Île roi de France venait de bannir de son royaume tous les sujets allemands, et que tous les Français qui avaient eu des rapports de commerce avec les Etats du Rhin, avaient été récemment con- damnés au dernier supplice, comme suspects de lu- théranisme ; que le roi de France travaillait avec Soliman à la ruine de l'empire germanique , et qu’il avait commencé l'exécution de ce dessein impie par l'envoi d’une armée d’incendiaires dans les principau- tés où n'avait pas encore pénétré l'esprit de rébel- lion. Ces bruits, habilement répandus et confirmés par le témoignage des principaux officiers de l'empire, alarmèrent et soulevèrent les habitants des villes et des campagnes ; de toutes parts on courut aux armes, et l’on parla de marcher aux frontières françaises. Tel était l'état des choses en Allemagne, en 1536, quand Guillaume Du Bellay s’y rendit encore une fois en toute hâte, ayant pour mission de démentir tant de rumeurs calomnieuses , et de reconcilier avec la France les princes et les peuples frappés de la même épouvante. En arrivant, il fut accueilli par les dé- monstrations du plus aveugle ressentiment : les princes ne voulurent ni l'entendre, ni lui donner asile, et, comme tous les gens du pays étaient en armes , Du Bellay se vit obligé ou de fuir au plus tôt vers la France ou de chercher quelque retraite dans laquelle
(1} Seckendorf, lib. 1, p. 317-390.
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il put du moins, durant cet orage, cacher sa tête proscrite. Il hésitait entre l'un et l'autre parti, lors- qu'il fitla rencontre d’un seigneur allemand qu’il avait autrefois compté parmi les amis de la France. Celui- ci l’ayant reçu dans sa maison , alla trouver quelques personnes notables , et les pria de venir rendre une visite secrète à l'ambassadeur du roi de France. Langey profita de leur bonne volonté, pour avoir avec ces gens mal prévenus de longs entretiens sur les mensongères rumeurs semées par les émissaires de Charles V. Mais c'était peu de chose que d’avoir éclairé quelques esprits : Du Bellay, ne pouvant encore se montrer en public, fit, du moins, imprimer en la- tin, en allemand et en français, un discours dans lequel il démentait avec énergie les fausses nouvelles fabriquées par l'Espagnol, et prouvait, par un exposé sommaire des faits réels, que Charles V avait ourdi cette intrigue et d’autres encore, pour rendre le nom de François odieux à ses amis, à ses alliés. Sur ces entrefaites, arrivèrent des marchands de tous les cercles de l’Empire qui venaient de la foire de Lyon et se rendaient à celle de Strasbourg. Langey demanda qu'ils fussent recherchés, interrogés , et qu’on apprit d’eux la vérité tout entière. On la connut enfin : loin d'avoir été persécutés en France, ils avaient été traités par les officiers du roi, par le roi lui-même, avec une bienveillance plus qu'ordinaire ; loin d’avoir été contra- riés dans leurs opérations mercantiles , ils avaient été invités à prendre dans le trésor royal les sommes dont ils pouvaient avoir besoin. Ces déclarations calmèrent les esprits : Du Bellay, sortant alors de sa retraite, envoya ses lettres de créance à Louis de Bavière,
88 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
doyen des électeurs de l'empire , et vint à Munich. Il n'y pôt rester longtemps : si les populations désabu- sées n'étaient plus hostiles à l'ambassadeur français, il devait redouter, en Bavière, de secrètes embüches, l'empereur et le roi des Romains ne professant pas beaucoup de respect pour les règles du droit des gens. Il se retira donc à Bâle, vers le mois d’août 1536, et réclama des princes de l'Empire une au- dience publique pour l'ambassadeur du roi de France : il voulait, disait-il, exposer, dans cette audience, le détail des questions qui devaient être résolues par la voie des armes , et constituer les électeurs juges de la conduite de Charles V. Dans le même temps, il écrivait au roi la lettre suivante , dans laquelle nous trouvons de curieux renseignements sur la situation des esprits en Allemagne et en Suisse : Basle, 12 aoust 1536. SIRE,
J'ay aujourdhuy receu vos lettres du 12 du passé, ensemble les lettres pour le seigneur Sturnius , que je luy feray tenir, et lequel je trouve tousjours vostre bon serviteur, et sans demander austre chose de vous, sinon ce que je vous diray de brief, qu’il ne pense toucher principalement que vostre advancement, dont il estime dependre celuy de sa République. Quant aux calomuies qu’on a semées par deça contre vous, je y ay faict les remon- strances que vous m'avez ordonnées , lesquelles j'espère ne vous seront inutiles. Personnaiges de bien gros crédit m'ont dit qu'ils ne se peuvent assez esbahir, s’il est vray ce que je leur dis, et qu’ils commencent à croire, comment vous avez souffert sans res- pondre. Le contraire leur est presché desjà bien douze ans , et si vous avez quelquefoys respondu, ce a esté à d’aucuns points, comme si vous eussiez advoüé les autres. Je vouldrois, Sire, qu'on eust bien pesé ce que Beauvais autrefoys vous en escrivit.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 89
En somme, on me asseure que si je leur ay porté parolle de vérité en ce que je leur ay dit de par vous, et on vous donne une jour- née , que le droit vous sera adjugé ; si l’empereur empesche qu’on ne la vous accorde, qu’il mettra la Germanie contre soy, et m'ont eulz-mesmes pressé et baillé les moyens {mais en payant) de faire imprimer les dittes remonstrances. Vous avez veu ce que J'ay escript au Palatin Electeur, lequel m'a fait responce , et sur icelle j’ay éscript à tous les princes lettres dont je vous envoyay le double, mais je les ay depuis augmentées et diminuées par endroits , attendant quelle résolution se prendra sur cette jour- née. Ces villes , sy elles ne m'ont menty, ne donneront ayde com- mune à l'Empereur, mais ne peuvent empescher honestement leurs subjects d’aller à son service pour le présent : pour l’advenir m'en donnent ouverture de moyens. Les gens d'église, si l'Em- pereur vous donne quelque bastonnade, luy fourniront tout ce qu’ils auront ; à cette cause, il fait tousjours courir icy cent nou- velles pour luy. Desjà l'évesque de Strasbourg a vendu une forest pour aprester argent à cette intention ; les biens de laditte église, donnez par vos prédécesseurs, seront employez à cet usage. Quant à gens de guerre, il ny à ordre, Sire, de vous en faire levée pour ce temps. Par cy-devant en eussiez eu prou et des plus agguéris : je trouve que, pour le présent, ils sont par deca de trois espèces : les uns, qui se disent évangeliques , courent contre vous comme contre leur principal persécuteur ; les autres , papis- tiques, comme contre le Turq, car les Impériaulx ne vous bap- tisent point autrement; la tierce espèce, meslée des deux autres, n’adore Dieu ne déesse, que leur mère , la Guerre , et ceulz là , si vous eussiez fait levée de bonne heure , vous eussent tous suivy, car ils disent que votre argent vient mieulz que celuy de l’Empe- reur, et prou en a qui ont long temps attendu si vous les deman- deriez, lesquels depuis ont pris parti de l'Empereur... Sire, je mettray peine d’estre devers vous de brief, pour vous dire le surplus de bouche {1}.
(1) Cette lettre, qui n'avait pas encore été publiée, se trouve à la Bibliothèque du Roi, dans le n° 1,832 (St.-Germain).
90 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
Guillaume Du Bellay n’obtint pas l'audience qu'il avait instamment sollicitée : mais, du moins, avant de quitter l'Allemagne , adressa-t-il aux princes une lon- gue lettre où nous trouvons le résumé des arguments qu'il ne lui avait pas été permis de développer en pu- blic. Si ces remontrances produisirent peu d’effet sur les princes , les démarches qu'avaient faites Du Bellay pour apaiser l'émotion populaire, eurent toutefois un résultat : de treize mille paysans qui s'étaient enrôlés pour aller tirer vengeance du meurtre supposé de leurs concitoyens, trois mille seulement restèrent sous les enseignes impériales (1).
Les hostilités recommencèrent bientôt. Ayant en- voyé ses lieutenants mettre le siége devant les places que l'amiral de Brion occupait dans le Piémont, Charles se rapprocha de la frontière française, et prétendit envahir la Provence. C'était une entreprise téméraire. François se porta sur Lyon et de là sur Valence, où il établit son camp : il était jaloux de ré- pondre par quelque grand fait d'armes à l’insolent défi de l'Espagnol qui osait venir attaquer un roi de France jusqu’au sein de ses états. Il fallut que l’on mit tout en œuvre pour modérer son impatience. Le ma- réchal de Montmorency, qui défendait le camp d’A- vignon, envoya deux fois à Valence Guillaume du Bellay : celui-ci rendit compte au roi des mouvements de lennemi, et l’engagea fort à ne pas quitter son camp fortifié ; il y avait, en effet, lieu de croire que Charles , trouvant la frontière bien gardée , regagne- rait promptement l'Italie, après avoir battu la cam-
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 111, p. 244-274.
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pagne sans livrer un seul combat. L’envoyé du maré- chal ne réussit pas dans sa mission; François lui répondit, non pas sans doute avec la prudence d'un général, mais avec la dignité du premier gentilhomme de son royaume : « Non, il ne sera pas dit que l’em- pereur sera venu m’attaquer à la tête de son armée, et que, moi, je ne l’aurai pas reçu à la tête de la mienne ; qu'il se sera présenté les armes à la main, et que, pendant ce temps, je serai demeuré dans mon camp de Valence, remplissant la charge de commissaire des vivres (1)... » Après avoir prononcé ces nobles paro- les, François ordonna de tout préparer pour le dé- part, et, le lendemain, il se mit en route, avec sa gendarmerie, se dirigeant vers le camp d'Avignon. Mais déjà l’empereur opérait sa retraite sur Fréjus. Quand il eut repassé la frontière, François se rendit à Marseille, et chargea Du Bellay d'aller , en son nom, visiter la ville d'Aix, que les Impériaux avaient dé- vastée. Sur le rapport que lui fit Du Bellay, le roi dé- cida que les murailles détruites seraient relevées, et que les monuments publics, incendiés par les ordres de Charles V, seraient rétablis dans leur premier état (2).
Guill. Du Bellay partit ensuite pour le Piémont, où la guerre se continuait, sans que l’on fit, de part et d'autre , de grands efforts. Il parvint à concilier deux princes italiens dont les débats personnels pouvaient avoir des suites fàcheuses, et pourvut ensuite à la sûreté du marquisat de Saluce (3). Cependant, à son
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 1v, p. 204 et suiv. (2) Ibid., p. 239. (3) Ibid., p. 332-340.
92 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
retour en France, il ne put donner au roi de bonnes nouvelles : l’armée expéditionnaire s’aftaiblissait cha- que jour, et l'ennemi gagnait du terrain presque sans coup férir. François envoya dix mille lansquenets et quatre cents hommes d'armes au secours des légions françaises; peu de temps après, d’autres compagnies furent conduites en Italie : Langey reçut l’ordre de traverser encore une fois les monts , et de porter vingt-cinq mille écus à la garnison de Turin. L'ennemi s'était emparé de toutes les places situées au pied des Alpes, ce quirendait le passage fort difficile. Langey se vit obligé de demander une nom- breuse escorte au duc de Wurtemberg, et gagna la ville de Suse sous la protection de ses lansquenets. A leur approche, les Impériaux, qui gardaient les défilés des Alpes, furent pris d’une subite terreur , et quittè- rent à la hâte les positions dont la défense leur avait été confiée. L'arrivée de Langey dans les murs de Turin releva les esprits découragés. Il n’y séjourna pas longtemps. En quittant cette ville, il courut les plus grands dangers. Les Impériaux, ayant appris qu'il n'avait en sa compagnie que vingt-cinq chevaux légers, se présentèrent sur son passage, et voulurent s'emparer d'un homme qui leur était signalé comme le plus actif, le plus habile des agents de la cour de France : mais ils ne réussirent pas dans cette entre- prise, et Langey put gagner la ville de Suse où il avait laissé la plus forte part de son escorte , les lans- quenets du prince de Wurtemberg (1). On sait quelle fut l'issue de la campagne de l’année 1536. Au mois
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 1v, p. 357.
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d'octobre, François, craignant que l’ennemi ne l’atta- quât de nouveau du côté des Flandres, regagna la France avec les troupes qui guerroyaient dans les gor- ges du Piémont, et conclut avec les Impériaux une trève de trois mois qui, plus tard, fut prolongée. C’est à la suite de cet arrangement qu'il nomma Mont- jan son lieutenant-général au-delà des monts, et Guill. Langey Du Bellay gouverneur de Turin {1).
Nous lisons dans tous les mémoires du temps, que la durée des établissements français en Italie fut moins compromise par les coups de main de Charles V et de ses lieutenants, que par la triste situation de nos finances. Dans ses lettres au roi et au cardinal de Tour- non, le gouverneur de Turin déclara toujours la vé- rité, et donna les avertissements les plus sages ; mais on n'en profita pas. Il réclama tant de fois de l'argent pour payer la solde arriérée des troupes, pour gagner à la cause française des chefs de bande sans emploi, pour calmer les populations insoumises, et pour ré- tribuer les utiles services de ses nombreux espions, que toutes ses requêtes semblent être diverses copies de la! même dépêche. Nous citerons cette lettre en- core inédite du 12 janvier 1537, où l’on appréciera, d’une part, quels étaient, à l'égard de la France, les sentiments des Piémontais; et, d'autre part, quels étaient les embarras financiers du gouvernement de Turin :
SIRE ,
Allant devers vous messire Anthonin de Androis, l’un des conseillers de vostre parlement de Piedmont et l’un des princi-
(1) Ibid.
94 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
paulx du conseil de ceste ville, et à présent commis et depputé par les scindiz, conseil et habitans, pour vous exposer leur inten- cion sur les affaires communes d'’icelle , tant pour la maintenir et perpétrer, ainsi qu'ilz le desirent, en vostre obéissance, que pour y meliorer tousjours l’ordre et police, je ne leur ay voulu reffuser de les accompaigner de la présente par ce porteur, lequel j'envoye pour soliciter la depesche du payement des gens de guerre de cette ville, lesquels il ne sera, au cher vivre qui est en la ville , possible entretenir en obéissance s'ils n’ont tousjours leur dict payement à heure deue , et toutesfois que je ne fais point de doubte qu’il ne doibve arriver à tant, ayant Monseigneur de Montejan, vostre lieutenant général, envoyé Pescheray exprès pour la solicitation tant du dessus dict payement que de celluy des autres villes. Si est que l’expérience du passé tient ces gens icy en telle crainte, qu'ils n’en seront jamais bien à repos jusques à tant qu'ils voyent quelque bonne assurance estre mise au faict dudit payement de mois en mois...
Sire, la plus grande craincte que ayent les dits habitans de ceste ville et qui les meut principallement d'envoyer devers vous c’est de la paour qu’ils ont de sortir hors de vos mains ; et aussi ont paour vos autres villes et gentilshommes de par deça, les- quels me importunent ordinairement de vous faire humble re- queste que là où vous seriez si avant pressé de consentir au res- tablissement du duc de Savoye, il vous plaira toutteffois réserver, par exprès articles, les villes et gentilshommes que ferez appa- roir estre de l’ancienne obéissance de vos prédécesseurs.
Sire, je prye a tant notre Seigneur vous donner en parfaicte santé très bonne et très-longue vye.
De Thurin, ce 12 jour de janvier 1537 (1).
Outre les embarras que causèrent à Du Bellay les délais apportés par la cour de France dans l'exécu- tion des engagements contractés avec les troupes
(1) MSS. de la Biblioth. du Roi, fonds Dupuy, n° 269.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 95
auxiliaires, il ne s'accorda pas toujours avec le gou- verneur-général du Piémont : nous voyons , dans ses lettres, qu'au mois d'août de l'année 1538, il était dans les plus mauvais termes avec son supérieur, et qu'il allait même jusqu à prier le roi de se prononcer entre eux. La mort de Montejan, qui eut lieu vers la fin de l’année 1538, mit fin à ces fâcheux différends. Le maréchal d'Annebault fut alors envoyé dans le Piémont pour occuper l'emploi de Montjan. Dans les premiers mois de l’année 1540 , Annebault ayant été mandé par le roi qui venait de fermer au connétable les portes de son conseil privé , Du Bellay remplit, en Piémont, les fonctions de lieutenant-général (1). Ces fonctions allaient devenir aussi difficiles durant la paix, qu’elles avaient pu l'être durant la guerre. Le pays occupé par les troupes françaises avait été ra- vagé par le marquis Du Guast; on manquait de vivres et même de grain pour ensemencer les terres. C’est alors que Du Bellay fit demander à son ancien ami André Doria la permission d'introduire des blés fran- çais en Piémont, par la voie de Savone. Cela lui fut accordé. La récolte avait été fort abondante en Bour- gogne; Du Bellay s’approvisionna dans cette province, paya de ses deniers les grains qu'il reçut de France, et les fit ensuite distribuer aux soldats et aux habitants de tous les villages qui reconnaissaient l'autorité du roi (2).
Les entreprises déloyales du marquis Du Guast de- vaient encore lui causer d’autres embarras. François
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. 1v, p. 384. (2) Ibid., p. 415 et suiv. — Thevet , au lieu cité.
96 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
ayant envoyé César Frégose et Antoine Rincon à Constantinople, pour déjouer les intrigues de Charles d'Espagne, ces deux ambassadeurs se rendaient en- semble à Venise, quand ils reçurent une missive de Du Bellay, qui les invitait à ne pas aller au-delà de Rivoli. Ils arrivèrent dans cette ville, le 1er juillet de l'année 1541. Du Bellay s’y rendit le même jour : il leur apprit que tous les passages du PÔ étaient gardés par les milices impériales, que s'ils ne se rendaient pas à Venise par la voie de terre, ils devaient tomber dans quelque embüche, et qu'il y avait tout à craindre du marquis. Frégose, qui était de Gênes, ne voulût pas croire qu'un gentilhomme italien fût capable de commettre , sur la personne de deux ambassadeurs, l'attentat que l'on semblait redouter , et, pour témoi- gner qu'il n'avait pas confiance dans les rapports des espions de Langey, il voulût partir sans délai pour Venise. Ils montèrent sur deux barques équipées à la hâte, et, durant le premier jour de leur voyage, ils ne firent aucune rencontre fâcheuse. Ayant reçu de nouveaux avis, Du Bellay s’empressa de leur envoyer un courrier, réclamant d'eux, s'ils s'obstinaient à braver une mort certaine, les papiers du roi, qu'ils ne devaient pas, en de telles circonstances, garder entre leurs mains. Frégose et Rincon remirent leurs instruc- tions et continuèrent leur course téméraire : à quel- ques milles de l'embouchure du Tésin, ils furent accostés par deux barques ennemies et massacrés (1). Du Guast, accusé d'avoir commis ce crime ; se défen- dit le mieux qu’il pût devant les princes de l'empire
(1) Mém. de Mort. du Bellay, t. v, p. 4 et suiv.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLATY. 97
assemblés à Ratisbonne : dans une lettre fort remar- quable, qui nous a été conservée, du Bellay renversa tout l’'échafaudage de ses audacieux démentis , et fit remonter jusqu'à Charles V la responsabilité de l’at- tentat dont il n'avait pas même blâmé l’auteur. Les princes intimidés n'osèrent pas se prononcer entre l'empereur et le roi, et il fallut encore une fois avoir recours aux armes pour obtenir réparation de ce cri- minel outrage.
Deux armées furent envoyées, l'une dans le Rous- sillon , l’autre dans la principauté de Luxembourg. Du Bellay n’hésita pas à condamner ce plan d'atta- que : il lui semblait plus sage, plus avantageux, de choisir l'Italie pour théâtre de la guerre, et, prévoyant la rupture prochaine de la trêve, il avait déjà prati- qué de mystérieuses intelligences dans le plus grand nombre des places occupées par l'ennemi. Son dessein était de réunir à la Mirandole dix mille hommes de pied , huit cents chevaux et dix pièces d'artillerie, dont il avait fait accepter le commandement à Pierre de Strozzi; de marcher de [à sur Crémone, sur Lodi, puis sur Milan, de s'établir dans cette ville, et d’y attendre les Impériaux : les chefs des grandes familles milanaises ayant témoigné qu'ils étaient bien portés pour la France, cette expédition ne devait être qu’une promenade militaire. Du Bellay prenait l’engagement de reconquérir le Milanais en quelques jours (1). Fran- çois avait d'abord approuvé la conduite et les projets de son lieutenant-général en Piémont ; mais, quand il fallut agir, il changea de sentiment. Les succès
(1) Mém. de Mart. du Bellay, t. v, p. 98 et suiv. Ji 7
98 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
équivoques obtenus, dans le Luxembourg, ne com- pensèrent pas les revers éprouvés dans le Roussillon. La campagne de 1542 ne fut heureuse qu'en lalie.
Du Bellay dirigea d'abord quelques compagnies sur la place de Quieras, et se rendit à Carignan avec les Suisses. La ville de Quieras étant prise, la garnison impériale se retira dans le château, et manifesta l'in- tention de faire bonne défense, en attendant l’arrivée du marquis du Guast. Cette fière contenance inquiéta les assiégeants : ils avaient déjà pris le parti d'aban- donner la place, quand du Bellay leur fit savoir que, dépourvu de subsistances, le château de Quieras ne tiendrait pas vingt-quatre heures. L'événement vint encore une fois confirmer ses prévisions : il possédait toujours les renseignements les plus exacts, les plus précis (1). Les forces du marquis étaient bien supé- rieures à celles que du Bellay pouvait envoyer à sa rencontre; mais les Français occupaient, à Carignan, une position avantageuse. Ayant pris le parti d’atten- dre en ce lieu la division ennemie, du Bellay fit à la hâte élever un fort pour défendre le passage du fleuve. Du Guast arriva, ne s’attendant pas à une résistance sérieuse; mais, arrêté par les canons du fort, il de- meura quinze jours sur l’autre rive du fleuve. Les jongs et laborieux services de Guillaume du Bellay avaient depuis longtemps ruiné sa santé : atteint de paralysie, il ne pouvait prendre part aux combats quotidiens que les troupes françaises livraient à celles du marquis, mais, de son lit de douleur, il dirigeait tous les mouvements des siens et travaillait avec au-
(1) Mém. de Mort. du Bellay, t. v, p. 121.
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tant de succès que de zèle à jeter la division dans les rangs ennemis. Durant le séjour que du Guast fit sous les murs de Carignan, du Bellay parvint à débaucher six mille Italiens qui servaient sous les enseignes im- périales; affaibli par la retraite de ce corps d’ar- mée, du Guast perdit l'espoir de traverser le fleuve et leva son camp (1). Langey voulait le poursuivre : mais la légion suisse, qui formait le gros de l'armée française , refusa d’obéir, et cette rébellion le con- traignit à gagner Turin en toute hâte. Revenant alors sur ses pas, du Guast s’empara de Carignan, mais il fut bientôt chassé de cette ville par Martin du Bellay, tandis que Guillaume forçait diverses places du Montferrat. ‘
Telle était la situation de nos armes en Italie, quand l'amiral Annebault , venant du Roussillon , traversa les Alpes à la tête des vieilles bandes françaises qui avaient déjà franchi tant de fois les gorges du Pié- mont, et parcouru les plaines désolées du Milanais. Langey pouvait donc enfin prendre quelque repos, et s'occuper des soins que réclamait son corps épuisé par la fatigue et par la douleur. Avant toutefois de quitter son gouvernement, il crut devoir donner à l'a- miral des conseils que celui-ci négligea de suivre. Il partit ensuite pour la France; mais il mourut dans ce voyage, sur la montagne de Tarare, à Saint-Sympho- rien, le 9 janvier 1543. On raconte qu'avant de mou- rir , il fit confidence à ses amis des fâcheux pressen- timents que lui inspirait la situation de nos affaires en Italie. Puisqu'il ne lui était pas permis d’aller porter
{1) Mém. de Mart. du Bellay, t. v, p. 124.
460 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
au roi les conseils de l'expérience dédaignés par Annebault, il avait du moins à cœur de décliner Ja responsabilité de ce qui pouvait, de ce qui devait advenir (1). Le cardinal du Bellay, l’un de ses frères, fit transporter son corps dans la cathédrale"du Mans ; et lui donna pour sépulture le riche mausolée que l’on admire encore aujourd'hui dans cette église. Sur le socle de ce monument, on lit ces vers :
Cy gist Langey qui , de plume et d'espée, À surmonté Cicéron et Pompée.
Joachim du Bellay, qui appartenait à l'illustre fa- famille des du Bellay de Glatigny , a fait en l’honneur de Guillaume le distique suivant : |
Hic situs est Langeus ! ultrà nil quære, viator ; Nil majus dici , nil potuit brevius.
Nous trouvons encore, à la fin du traité de Robert Lebreton , qui a pour titre : De oplimo statu reipu- blicæ (2), divers éloges poétiques de Guillaume du Bellay ; l'un est de ce Robert Lebreton (Rob. Britan- nus) ; un autre est de Jean Gelée (Gelida) ; un troi-
(1) Ce renseignement nous est fourni par Rabelais, qui, attaché à la personne du cardinal du Bellay, paraît avoir assisté aux derniers moments de Guillaume. Nous lisons au chap. 21 du liv. 111 de Pañtagruel : « Les troys et quatre heures avant son décez, il employa en parolles vigoureuses, en sens tranquil et serain , nous prédisant ce que depuys part avons veu, part atten- dons advenir. Combien que pour lors nous semblassent ces pro- phéties aulcunement abhorrentes et estranges , par ne nous ap- paroistre cause , ne signe aulcun , présent pronostic de ce qu'il prédisoyt. » |
(2) Paris, Wechel, in-4°.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 101
sième, de Pierre Galland, mérite d’être cité. En voioi les premiers vers :
Flent Epaminondam Thebæ , pompaque necatum Magaifici exornant funeris Hippoclidem. Thesea Cecropidem fortem, rigidumque Solonem Et dubiam laurum qui Salamine refert. Publicolas et, cum Fabiis, Roma alma Camillos, Spartaque quæ celebrat funere Thermopylas. Langius en fato Gallis præreptus acerbo est Unica nobilium spesque decusque virûm ; Langius ob patriam justis fortissimus armis, Sacrificum exuperans relligione Numam ; Langius in Gallis observantissimus æqui, Munifica spargens munera larga manu ; Langius , Aonidum robusta columna sororum ,. Quem coluit Charitum semper amica trias !.…
Il est incontestable que ces diverses épitaphes sont singulièrement emphatiques; mais ce n’est pas aller au delà de la vérité que de compter Guillaume du Bellay au nombre des hommes les plus éminents du grand siècle de François I‘. Nous avons raconté sommairement les actes principaux de sa carrière di- plomatique, et ce rapide exposé a pu faire compren- dre que , de son temps, personne ne connut et ne pratiqua mieux que lui l’art des négociations. En re- cevant la nouvelle de sa mort, Charles-Quint dit de Guillaume du Bellay, que « seul, il lui avait fait plus de mal et déconcerté plus de desseins, que tous les Français ensemble (1) ; » etil n’y a pas lieu de suspeo-
(2) Mém. de Mart. du Bellay, t. Y, p. 138.
102 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAT.
ter le témoignage de ce prince, qui, mieux que per- sonne , savait apprécier ce que vaut un bon négocia- teur. François eut toujours pour Guillaume du Bellay de l'affection et de l'estime; mais il ne lui donna pas, dans ses conseils, la place à laquelle cet habile homme pouvait prétendre. A la cour de Charles-Quint, Guä- Jaume du Bellay n’eut pas eu moins de crédit que le cardinal de Granvelle ; François Ier, qui menait toutes ses entreprises à ciel ouvert, n’estimait pas à leur prix les services diplomatiques , et, tandis qu’il tenait à l’écart de bons serviteurs dont il eùt pu mettre à profit la sagesse et l'expérience, il se laissait conduire par des intrigants qui faisaient grand étalage de sen- timents chevaleresques. C’est ainsi qu'il fut trompé tant de fois. On aurait d'ailleurs une opinion très- fausse de notre Guill. du Bellay, si, parce qu’il avait une rare aptitude pour les entreprises diplomatiques, on le considérait comme un de ces esprits fermés aux passions généreuses , prudents jusqu'au défaut de courage, égoïstes par tempérament ou par calcul, qui ne savent qu'ourdir des trames subtiles ou déjouer celles de leurs adversaires, et qui n’accordent jamais que le sourire amer du scepticisme aux sacrifices hé- roïques de la vertu. Le récit que nous avons fait de la vie de Guill. du Bellay doit donner meilleure opinion de son caractère. On a vu que l’habile négociateur était encore, dans l’occasion , un brave capitaine, et que l'ennemi ne réussissait pas mieux à l’intimider qu'à le surprendre. Il était d'ailleurs très-large, très- grand dans toute sa manière de vivre. Quand il mourut , il avait dépensé tout son avoir jusqu’au der- nier écu, et laissait trois cent mille livres de dettes à
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la charge de sa famille. Il s’était ruiné et avait engagé la fortune des siens pour le service de l'État. Avant même d'aller en Italie, il avait déjà laissé passer aux mains des banquiers de Paris une bonne part de son patrimoine, comme nous l’attestent ses lettres et celles de son frère le cardinal; mais, passionné pour les arts, pour les lettres et pour le luxe, il avait toujours fait le plus noble emploi des sommes qu'il avait obtenues des avides prêteurs. Nous traduirons ici quelques vers de Salmon Macrin, qui nous prou- vent que Guill. du Bellay prenait gaiement son parti sur l’état de ses affaires, et ne se repentait pas d’avoir dissipé son patrimoine : « Dernièrement, je me disais en riant : — Les écus et Guillaume ne sont pas bien ensemble ; il les prise si peu, qu'il en fait chaque jour largesse, les jetant à quiconque lui tend les mains. — Et vous m'avez répondu : — Sot que vous êtes, les écus sont au mieux avec moi, puisque je les laisse courir où il leur plaît, au lieu de les tenir, en avare, enfer- més dans ma bourse (1). » Ces vers sont plaisants, et nous semblent donner une exacte idée des mœurs li- bérales de Guill. du Bellay.
Nous parlerons maintenant de ses ouvrages, et comme il y a beaucoup d'erreurs accréditées à ce su- jet, nous ne négligerons pas même les détails biblio- graphiques , si fastidieux qu'ils puissent être, au moyen desquels nous pourrons établir enfin un cata- logue exact des écrits de cet illustre personnage.
De ces écrits, le plus important devait être son histoire du règne de François I, à laquelle il
(1) Salm. Macrini, Ode, lib. 1.
404 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAT.
avait donné le titre d'Ogdoades. La Croix du Maine distingue les Ogdoades d’un autre ouvrage sur lequel il s'exprime en ces termes : « Il a escript en latin l’his- toire des François, laquelle il a depuis traduicte en nostre langue par le commandement du roy, et traitte principallement des choses advenues durant le règne dudict roy, non imprimée. » Mais cette distinction n’est pas fondée : les Ogdoades et cette prétendue histoire des Français n'ont jamais été que le même ouvrage. Le témoignage de Martin du Bellay, frère de Guil- laume, est sur ce point très-formel : « Feu mon frère, messire Guillaume du Bellay... , avoit, dit-il, composé sept Ogdoades latines, par luy-même traduites, du commandement du roy, en nostre langue vulgaire, où l'on pouvoit voir, comme en un clair miroir, non-seu- lement le pourtraict des occurrences de ce siècle, mais une dextérité d'écrire merveilleuse et à lui pé- culière, selon les jugemens des plus sçavans (1). » Bayle ayant déjà signalé cette erreur de La Croix du Maine (2), nous n'insistons pas davantage sur ce point. Scévole de Sainte-Marthe en a commis une plus grave encore; il a supposé que les Ogdoades contenaient toute Fhistoire de France, depuis les premiers âges jusqu'au milieu du XVIe siècle : « Historiam de rebus gallicis ab ipsa imperii origine usque ad sua tempora, tum latinè, tum gallicè, gravissimo stylo persecutus est (3). » Ce qui a trompé Scévole de Sainte-Marthe, c’est qu'en effet l’auteur dissertait copieusement, dans
(1) Préface des Mémoires de Martin du Bellay. (2) Dictionn. hist. et crit., au mot Guill. du Bellay. (3) Elogia Scœvolæ Sammarthani, p. 16.
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 105
la première de ses Ogdoades, sur les origines gallo- françaises ; mais entre la première et la seconde, il y avait la lacune qui sépare l'invasion romaine du règne de François I‘.
Les Ogdoades et l’histoire des Français n'étaient donc qu'un seul livre, livre inachevé sans doute, puisque l'auteur se proposait d'écrire toute l'histoire des faits accomplis sous le règne de François Ier, et qu'il est mort quatre années avant ce prince. Or, voici quelle a été l'étrange fortune des Ogdoades de Guil- laume du Bellay : « Luy mort à St-Saphorin, sur le mont de Tarare, à son retour d'Italie, ayant en ses cofres ses œuvres, et lors estans absens monsei- gneur le cardinal du Bellay, son frère, et messire Martin du Bellay... , ses livres luy furent desrobez par quelques-uns qui veulent, ainsi qu'il est à présuposer, se vestir, comme la corneille ésopique, des belles plumes d'autruy (1). » Si telle a été l'intention des au- teurs du larcin commis sur le mont de Tarare, il est à croire qu'ils ne l'ont pas remplic. Cependant, quel- ques fragments des Ogdoades nous ont été conservés. Au dire de Martin du Bellay, son frère avait composé sept Ogdoades sur le règne de François ler. Mais ou ce titre d'Ogdoades n'a pas de sens, ou il signifie que l'ouvrage de Guillaume devait être distribué en huit (octo) livres. Et, en effet, il l'était ainsi. Mais ayant communiqué cet ouvrage à quelques-uns de ses amis, Guillaume crut devoir, suivant leurs conseils, faire de la première Ogdoade un opuscule séparé, parce
(1) Avertissement en tête de l'Epitome de l'Antiquité des Gaules.
106 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLATY.
qu'elle contenait une sorte de traité sur les anciennes migrations des Gaulois et des Francs. C'est ce traité qui a été publié, après sa mort, sous le titre de : Epi- tome de l'Antiquité des Gaules et de France, avec une préface sur toute son histoire; Paris, Sertenas, 1556, in-4° , et Paris, Marnef, 1587, in-4o. Or, voici ce que nous lisons dans la préface de cet Epitome : « Lequel abrégé récit, pour ce qu'il sembloit à aucuns de mes amys estre aliène en cest endroit et ne servant à mon propoz, j'ay reséqué depuis et totalement osté. » C'est Guillaume du Bellay qui s’exprime en ces termes : il ajoute, pour qu'il n'y ait aucun équivoque, qu'il a fait de ce livre de son histoire une « Ogdoade à part. » Ainsi, nous avons la première des huit Ogdoades, et cela est établi, non par des conjectures plus ou moins graves, précises et concordantes, mais par le témoi- gnage de l’auteur lui-même. A ce témoignage si décisif ajoutons une preuve nouvelle qui nous est fournie par un manuscrit provenant de la bibliothèque Colbert, inscrit, sous Île n° 6205 , au catalogue de la bibliothè- que du roi. Ce manuscrit a pour titre : Ogdoadis prime liber primus, sive vita Francisci primi Fran- corum regis , auctore Guillelmo Bellayo, domino de Langey (1). Et que contient-il? Un fragment du pre- mier travail de Guill. du Bellay. Au début, l’auteur expose son opinion sur les origines gauloises ; puis il commence l'histoire du règne de François [*", et la continue jusque vers l’année 1536. C’est de ce pre- mier livre de la première Ogdoade qu'il a, dans la
(1) I ne semble pas que ce manuscrit soit de la main de du Bellay, car il s’y trouve une lacune. .
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 407
suite, distrait tout ce qui concerne l'antiquité des
. Gaules. Si nous avons cru devoir entrer dans ces dé-
tails, c’est que la plupart des bibliographes, à l'ex- ception toutefois de La Croix du Maine et de du Ver- dier , nous paraissent avoir ignoré que l’Epitome fut la première des Ogdoades. On possède encore un fragment de la cinquième Ogdoade , retrouvé par Martin du Bellay et publié dans ses Mémoires. Ce frag- ment est considérable , puisqu'il forme quatre livres des Mémoires, et sans contredit les plus intéressants ; il commence à l’année 1536 et finit à l’année 1540. La préface ou le prologue de l'Epitome est une œu- vre digne de remarque : on y trouve de sages vues sur la méthode que doit suivre un historien dans l'exposition des faits accomplis. L'Epitome n’est qu'un ingénieux assemblage des mille fables racontées par Trithème, par Annius de Viterbe et par quelques au- tres. On y voit qu'après le déluge , Samothès, fils aîné de Japhet, et, ce qui est plus étrange encore, fonda- teur de la secte des philosophes samothiens , vint s'é- tablir sur le sol des Gaules, encore inhabité, et y fut le père d’une nombreuse lignée, souche de la race gau- loise ; que les descendants directs de Samothès, de mâle en mâle, furent les huit premiers rois de cette nation nouvelle, et qu’ils occupèrent pendant 400 ans le trône fondé par leurs pères; qu'un de ces rois, nommé Celtès, eut le premier la fantaisie de marquer les frontières de ses États, et donna le nom de Cel- tique à son vaste patrimoine ; que Galathea, fille de Celtès, « belle dame à merveilles et de haulte stature » eut des relations plus ou moins légitimes avec lil- lustre Hercule Lybien (Hercules Lybius), de la race
108 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
de Cham, et que celui-ci la rendit mère d’un fils nommé Galathez ou Galatheus , auquel la Gaule doit son nom ; que les Gaulois allèrent au siége de Troie prendre parti pour l’Asie contre l'Europe, et qu'après l'incendie de cette ville, quelques jeunes Troyens, transportés dans les Gaules par leurs alliés, vinrent fonder, sur les bords de la Seine, une colonie qu'ils appelèrent en grec, « langue dont ils usoiïent alors, » Lutetia, etc., etc. On nous épargne d'achever l’ana- lyse de ce roman. Il faut sans doute rejeter de telles fables ; il faut les placer, avec Fr. Hottmann, au nombre des légendes héroïques, « Amadisicæ fabulæ, » qui compromettent la gravité de l’histoire ; mais faisons remarquer que du Bellay ne fut pas l'inventeur de ces contes, et qu’il n’a pas été le dernier de nos historiens qui les ait narrés avec cette naïveté.
En parlant des Mémoires de Martin du Bellay, nous dirons quel a été le jugement porté par les critiques sur le fragment de la cinquième Ogdoade, inséré dans ces Mémoires. Ne quittons pas encore l'Epitome. Dans l'avis au lecteur qui se trouve en tête de cet opuscule, La Croix du Maine a vu que Guillaume du Bellay avait écrit une relation encore inédite du voyage Charles- Quint en Provence, et sur cette indication, il a cru devoir lui attribuer un livre auquel il a donné ce titre: Discours du voyage de l’empereur en Provence. Le P. Lelong a reproduit, dans sa Bibliothèque, cette note erronée de La Croix du Maine. Le Discours men- tionné par ces bibliographes n’est pas un autre ou- vrage que le récit de la campagne de Provence, re- trouvé par Martin du Bellay dans les manuscrits de son frère, et publié par le baron de La Lande, comme
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 409
étant un fragment de la cinquième Ogdoade de Guill. du Bellay. La première édition des Mémoires étant de l’année 1569, et l’Epitome ayant été publié dès l'année 1556, l'éditeur de cet opuscule a désigné la portion des Ogdoades qui nous avait été conservée , en indiquant ce qu’elle contenait de plus important. La Croix du Maine se rend encore coupable de la même inadvertance, quand il mentionne, au nombre des ma- nuscrits laissés par Guillaume du Bellay, un Discours sur les occasions qui remirent le roy et l'empereur en guerre, depuis le traicté de Cambray : ce Discours, qui se trouve, comme le précédent, dans les Mé- moires , faisait partie des Ogdoades.
A la suite de l’Epitome ont été imprimés trois opus- cules de Guillaume du Bellay. Le premier a pour titre : Translation d'une oraison faite en la faveur du roy Jean de Hongrie, de la guerre contre le Turc. Ce plaidoyer en faveur de la dynastie de Jean Zapol nous est donné comme une traduction, et, suivant La Croix du Maine, cette traduction a été faite par Guill. du Bellay. On ne possède plus le discours ori- ginal , qui était en latin. Voici le titre de la deuxième pièce, qui vient à la suite de l’Epitome : Translation d'une lettre escrile à un Allemant , sur les querelles et différens d'entre Charles cinquiesme et Françoys, pre- mier de ce nom. La lettre latine doit avoir été publiée par du Bellay vers l’année 1536; c’est un des factums * qu’il fit alors distribuer dans les États germaniques pour éclairer les esprits mal prévenus : la plupart des faits qui s’y trouvent rapportés sont de cette date. La troisième et dernière pièce jointe à l'Epitome par l’é- diteur Sertenas, est une: Translation desletiresescrites
110 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
par le très-chrestien roy de France, Francoys, premier de ce nom, aux princes, villes et aux Estats d'Alle- maigne, etc. Ces lettres, ou plutôt cette lettre, dans laquelle François Ler est mis en scène par son ambas- sadeur, et proteste avec des phrases sonores contre les calomnies fabriquées par les émissaires de Charles V, est du même temps que la précédente. Nous ne saurions, ‘toutefois, affirmer que du Bellay en soit l’auteur. La Croix du Maine , parlant de François I‘, attribue à ce prince « plusieurs épistres françoises , faites latines par mess. Guillaume du Bellay, et plusieurs latines qu’il a mises en françois. » Parlant ensuite de Guill. du Bellay, le même bibliographe s'exprime ainsi : « Il a traduit de latin en françois plusieurs épistres , orai- sons , harangues et autres semblables choses, envoyées par le roy François [°° aux protestants d’Almagne. » Suivant La Croix du Maine, Guill. du Bellay n'aurait donc fait que traduire la lettre insérée dans l’Epitome, et cette lettre serait l’œuvre du roi lui-même. Mais il ne faut jamais se fier au rapport de La Croix du Maine, et la pièce dont il s’agit a moins le ton d’une lettre royale que d'un écrit apologétique publié, sous le nom du roi, par un de ses zélés serviteurs.
Nous n’avons pu mentionner, dans leur ordre chro- nologique, les divers opuscules de Guill. du Bellay, qui ont été publiés presqué tous après sa mort et dans divers recueils : nous observerons, du moins, dans ce compte rendu, l’ordre des matières , et, avant de parler de ses œuvres poétiques, nous épuiserons la liste de ses écrits qui appartiennent à la section de l'histoire. Dans les Mémoires de Martin du Bellay, se trouvent cinq pièces diplomatiques publiées, à diverses
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 411
époques , par son frère Guillaume. La première est la Lettre qu'il écrivit, en 1533, aux ambassadeurs du roi Ferdinand, en faveur des ducs de Wurtemberg (1); la seconde ct la troisième sont les deux Discours qu'il prononça, la même année, dans la diète d’Augs- bourg (2) ; la quatrième, de l'année 1536, est la Lettre qu'il fit parvenir aux électeurs de l'Empire qui n’avaient pas voulu l'entendre (3) ; la cinquième est le Discours Ju devant les électeurs réunis à Ratisbonne , en 1541, concernant l'assassinat des ambassadeurs français par le marquis du Guast. L’étendue et le haut style de ces pièces leur donnent une importance toute spéciale ; ce sont de véritables traités sur diverses questions historiques.
Nous trouvons, dans un des recueils manuscrits de Ja bibliothèque du roi (4), la copie d’une de ces lettres adressées par Guillaume du Bellay aux princes de l'Empire ; et, à la suite de cette copie , nous lisons la note suivante : « Ladicte lettre a été imprimée en latin et en alemant ; et en alemant une autre plus longue dont j'ay desjà envoyé le double au roy, et au bout de laquelle est imprimé un arbre de consanguinité des maisons de France, Bourgoigne, Milan et Savoye depuis le temps du roy Jehan et des premiers ducs de Milan. » Il s’agit ici d’un opuscule de Guill. du Bellay, indiqué, par La Croix du Maine et par le P. Lelong,
(1) T.u, p. 318 de l’édit. publiée par l’abbé Lambert. (2) Ibid., p. 327 et 352. (3) T. ut, p. 261.
(4) MSS. de la biblioth. du roi, fonds Dupuy, sous le n° 269.
419 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
sous ce titre : Lettre d'un serviteur du roy à un secré- taire allemand sur les différends entre le roy et l’empe- reur; Paris, Sertenas, 1546, in-8°. Ce qui nous le prouve, c'est que le P. Lelong mentionne une autre édition du même opuscule ainsi intitulée : Double d'une lettre écrite par un serviteur du roy, etc.; et au bout d'icelle est ajouté un arbre de consanguinité d'entre les maisons de France, Autriche, Bourgogne, Milan et Savoye ; Paris, in-8° , sans date. Cette lettre a donc été imprimée en allemand et en français. Nous n’avons pu nous procurer un seul exemplaire des deux édi- tions désignées par le P. Lelong, et vérifier si cette Lettre d'un serviteur du roy à un secrétaire allemand, publiée par Sertenas en 1546, ne serait pas le même opuscule que la Lettre à un Allemant insérée dans l'Epitome par cet éditeur, en 1556. La Croix du Maine et le P. Lelong nous donnent ces deux lettres comme distinctes l’une de l’autre.
Voici maintenant toute une série d'ouvrages histo- riques attribués par La Croix du Maine à Guill. du Bellay, sur lesquels nous n’avons guère d’autres ren- seignements que ceux qui nous sont fournis par ce bibliographe, 1° Les Dits, Faits et Choses mémorables de la Gaule et de la France ; ouvrage inédit et perdu. — 20 Recueil ou Vocabulaire, par ordre d'AB C, de toutes les provinces , ciîtez, villes, chasteaux, mon- tagnes, vallées, etc., etc. Suivant du Verdier, Guill. du Bellay avait formé le projet de ce Vocabulaire, mais il ne l'a pas exécuté. — 30 Recueil d'exemples des Dits et Faits mémorables des François. — 4° La conférence et comparaison des Vies et Gestes d'aucuns roys, prin- ces et capitaines avec celles d'aucuns autres gens,
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. 113
Latins, etc., etc.; œuvre achevée, mais inédite, suivant La Croix du Maine : « à quoy, selon du Verdier, il avoit desjà bien travaillé et advancé ; mais prévenu de mort, l'œuvre est restée imparfaicte, et, qui pis est , en ont esté perdus les fragments. D — 5° Eptire au roy François I:r du nom, lorsqu'il étoit prisonnier en Espagne. — 6° Epiître à madame la duchesse sœur de François I°'. Ces deux lettres se trouvaient manu- scrites, au témoignage de La Croix du Maine, dans le cabinet de René du Bellay, baron de La Lande. Elles ont été perdues, mais il y en a beaucoup d'autres qui ont été conservées et dont La Croix du Maine ne parle pas. Nous allons ici remplir une lacune qui existe dans les catalogues de du Verdier, de La Croix du Maine et de dom Liron.
Outre les épitres diplomatiques éditées dans les Mémoires de Martin du Bellay, il n'a été publié que trois lettres de Guill. du Bellay : l’une, adressée à Mélanchthon, citée par Seckendorf, dans sa polémique contre le P. Maimboursg ; les deux autres extraites par Le Grand des manuscrits de Béthune , et insérées parmi les Preuves de l'Histoire du Divorce.
Ce qui nous a été conservé des lettres manuscrites de Guill. du Bellay est dispersé dans divers recueils de la bibliothèque du roi. De ces recueils, celui qui en ren- ferme un plus grand nombre appartient à la collection Dupuy et porte le n° 269 ; il s’y trouve environ trente- cinq lettres originales, ou missives diplomatiques, de Guill. du Bellay, adressées au roi , au maréchal de Montmorency et au cardinal du Bellay. On ne peut toutes les lire , car celles qui sont à l'adresse du car- dinal sont , pour la plupart, intégralement ou partiel-
III 8
414 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY.
lement écrites en chiffres. Ces lettres sont des années 1536, 1537 et 1538 ; on y voit le détail des négociations suivies par G. du Bellay avec les princes allemands, et ses embarras financiers dans le Piémont. Un manuscrit provenant de la bibliothèque Coislin , inscrit sous le n° 1832, contient des copies du plus grand nombre de ces lettres.
Cinq manuscrits de la bibliothèque de Béthune, inscrits sous les n°° 8502, 8511, 8545, 8604 et 8605, renferment encore diverses lettres originales de Guill. du Bellay, adressées au roi , au sieur de Villandry et au maréchal de Montmorency. On en lit douze dans le n° 8604, et neuf dans le n° 8605. Elles ne sont pas de la même date que celles de la collection Dupuy, mais des années 1530, 1531, 1532, et concernent, pour la plupart, l’ambassade en Angleterre près de Henri VIII.
Parmi les œuvres de Guillaume du Bellay, du Verdier compte des Jnstructions sur le faict de la Guerre, extraictes des livres de Polybe, Frontin, Vegèce , Cor- mazan, Machiavel, publiées à Paris, in-4° et in-8°, par M. Vascosan , en 1553; à Lyon, en 1592, in-8, et traduites en italien par Mambrino Roseo, sous ce titre : Della Disciplina militare libri tre; Venise, Borelli, 1571, in-8°. Brantôme parle en ces termes de cet ouvrage : « Le livre qu'a fait M. de Langeay sur J'art militaire le fait connoistre autrement capitaine que ne fait Machiavel , qui est un grand abus de cet homme qui ne sçavoit ce que c'estoit de guerre, etc. » Du Verdier et Brantôme se sont trompés : les Instructions sur le faict de la Guerre ne sont pas de Guill. du Bellay. Mais, s’ils se sont trompés , c'est avec l'éditeur
GUILLAUME DE LANGEY DU BELLAY. À 1 d
de ces {nstructions, qui les a publiées , en effet, sous le nom de G. du Bellay. Or, l'auteur de ce livre nous apprend qu'en l’année 1528, étant simple gendarme dans la compagnie du sieur de Negrepelisse, il servit, en Italie, sous le commandement de Lautrec ; il ajoute qu’en 1536, capitaine d'une seule bande de gens de pied, il reçut l’ordre d'assister le sieur de Roberval à la saisie du défilé de Saint-Martin de Lucerne. Or, ces détails biographiques ne peuvent s’appliquer à Guill. du Bellay, qui, dès l’année 1528, occupait une haute position dans les conseils du roi, et qui remplissait, en 1536, les fonctions d'ambassadeur près des Etats d'Allemagne. Au témoignage de La Croix du Maine, qui donnait sa Bibliothèque en l'année 1584, les Instructions sur le faict de la Guerre, publiées sous le nom de Guill. du Bellay, étaient attribuées par aucuns au connétable Anne de Montmorency; mais cette attribution est encore moins fondée que toute autre , le connétable n'ayant jamais eu la moindre con- naissance ni de la langue de Polybe ni de celle de Vegèce. Dans ses Vies de plusieurs capitaines Fran- çois, publiées en 1643, le baron Pavie de Forquevaulx a réclamé les Jnstructions sur le faict de la Guerre pour un de ses proches, Rémond de Forquevaulx, de l’antique famille des Beccaria de Pavie. Le gendarme de la compagnie du sieur de Neprepelisse, le capi- taine chargé d'occuper, en 1536, le val de St.-Martin, est bien, en effet, ce Rémond de Forquevaulx, et si le manuscrit de ses Znstructions fut trouvé dans les papiers de Guill. du Bellay, c’est qu’étant un de ses amis , il lui avait demandé sur cet ouvrage un avis et des conseils. Bayle ayant rapporté ces faits d'après le
116 GUILLAUME DE LANGEY DU BELLATY.
baron de Forquevaulx, dont les dires méritent ici toute confiance, nous ne comprenons pas que MM. Pei- gnot (1) et Beuchot (2) aient de nouveau mis les Znstruc- tions sur le faict dela Guerre au nombre des ouvrages laissés par Guill. du Bellay.
Quelques mots maintenant sur les œuvres poétiques de Guill. du Bellay. La Croix du Maine lui attribue plu- sieurs Dialogues, Epigrammes , Elégies, Sylves, Epis- tres, sur les événements contemporains: ces poëmes ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Nous ne connaissons pas non plus les Poésies françoises, amoureuses et autres, qu’il composa, dit-on , dans sa jeunesse. Nous n'avons de Guill. du Bellay d’autres vers que ceux qu'il fit publier, chez Gilles de Gourmont, in-4°, sans date, sous ce titre : Peregrinatio humana ; item de beatæ Virginis Mariæ nativitate Elegia, etc., etc., et qu'il appelle lui-même, dans sa dédicace à Louis de Bourbon, « les prémisses de son petit esprit, ingenioli mei pri- milias. » Le poëme qui a pour titre Peregrinatio humana, est le plus considérable de ceux que contient le volume. On y trouve des vers bien tournés, mais un plus grand nombre de médiocres. Le passage le plus remarquable de cette complainte en trois chants sur la destinée humaine , est le récit des infortunes de saint Eustache et de ses enfants. Du Bellay raconte encore plusieurs autres de ces légendes, entre autres celle de Théophile , si célèbre dans le moyen âge :
Theophilus summos quum forte ambiret honores,
Omine se magicas lævo convertit ad artes,
(1) Dictionnaire historique. * {2) Biographie universelle.
JEAN DU BELLAY. 117 Catholicamque miser legem sanctumque negavit Chrisma, sed optatum provectus ad usque cacumeu Infandum novit facinus scelerisque poposcit Patrati veniam. Tum deliquisse fatenti Omnipotens Christus, genitrice precante, pepercit.
Cette citation, si courte qu'elle soit, suffit pour faire comprendre que si Guillaume du Bellay a laissé la renommée d’un habile diplomate , d’un orateur élo- quent et d’un historien recommandable , on ne saurait le placer, parmi les poëtes , qu’au rang le plus humble.
DU BELLAY (3EAN).
JEAN DU BELLAY, né au château de Glatigny, vers l’année 1492, frère puîné de Guillaume, entra dans les ordres moins pour obéir à une vocation secrète que pour se conformer à l'usage. C’était un homme fier, impétueux, remuant, qui eût mieux porté l'épée que la crosse épiscopale; mais il devait céder à son frère aîné le droit et l’honneur de représenter dans lescamps la noble race des du Bellay. Arrivant à la cour avec l’habit ecclésiastique, jeune, bien appris et jaloux de parvenir, Jean du Bellay fut bientôt dans les bonnes grâces de François [°", et son frère osa réclamer pour lui, dès l’abord, un des plus hauts emplois de l'Église : mais il avait si peu d'inclination pour le sacerdoce, son naturel ardent protestait avec tant d'énergie contre la rigueur des vœux ecclésiastiques, qu’il était bien difficile d'obtenir de lui même le simple respect des
418 JEAN DU BELLAY.
convenances. Cependant, depuis qu'en France les rois nommaient aux évêchés , les anciennes prescriptions étaient bien tombées en désuétude ; on n’exigeait plus d’un candidat aux fonctions épiscopales que la régula- rité constante de ses mœurs fût attestée par la voix du peuple et par celle des clercs : quelle que fût donc la mondanité de ses goûts et de ses habitudes, Jean du Bellay fut, en l’année 1526, placé par le roi sur le siége de Bayonne (1). Personne n'étant moins disposé que ce gentilhomme à subir la contrainte des règles cano- niques, ilaccepta volontiers tous les priviléges, mais non pas toutes les obligations du ministère épiscopal ; pour ce qui regarde Îa résidence, il ne quitta pas la cour, et, suivant la coutume des prélats de bonne mai- son, il employa les revenus de son évêché à faire noble figure dans les antichambres de Fontainebleau.
Au mois de septembre 1527, le maréchal de Mont- morency, Jean Brinon, premier président du parle- ment de Normandie, d'Humières et le nouvel évêque dé Bayonne furent envoyés ambassadeurs en Angle- terre. Leurs lettres de créance sont du 25 septembre (2); au mois d'octobre, ils étaient rendus à Londres. On se demande quelle mission allait remplir un évêque, un héritier du pallium apostolique, près de Henri VIII séparé de Catherine d'Aragon et manifestant le dessein d'élever jusqu’au trône la fille d’une de ses premières maîtresses, sa propre fille peut-être, qui, par son li- bertinage précoce, avait acquis déjà, sur les deux
(1) Gallia christiana, t. 1, col. 1320.
(2) Ces lettres se trouvent aux manuscrits de la bibliothèque du roi, dans le MS. de Béthune qui porte le n° 8506, et dans les Preuves de l'Histoire du Divorce, de Le Grand, p. 13.
ee ne
JEAN DU BELLAY. 419
rives de la Manche, une triste célébrité. Très-prompt à composer avec ses devoirs épiscopaux, lorsqu'il s'agissait d'un intérêt grave , l’évêque de Bayonne allait à la cour de Henri VIIT n'ayant aucun parti pris sur l'affaire du divorce , mais prêt à tout faire, à tout dire, suivant les circonstances, pour maintenir en bon ac- cord les deux rois unis contre Charles V. Le maréchal de Montmorency ne séjourna pas longtemps en Angle- terre, et, comme il étaïît chef de l'ambassade, Jean du Bellay lui envoya de Londres les rapports les plus étendus et les plus curieux sur l’état des affaires. La bibliothèque du roi possède toute cette correspon- dance. La première lettre de Jean du Bellay au maré- chal de Montmorency est du 2 janvier 1528. II lai écrivait le 9 du même mois :
Une des filles de chambre , Monseigneur, de Mademoiselle de Boulan, se trouva mardy actainte de la suée ; à grant haste le roy deslogea et alla à douze miles d'icy; et m’a-t-on dict que la damoyselle fut envoyée pour le suspect au viconte son frère , qui est en Cainet {1}. Jusques icy, Monseigneur, l’amour n’a point prins de diminution. Je ne scay si l'absence , avec les difficultez de Rome, pourroyt engendrer quelque chose. Ce mal de suée dont je parle, c’est, Monseigneur, une maladie qui est survenuë icy depuis quatre jours , la plus aisée du monde pour mourir. On a ung peu de mal de teste et de cueur ; souldain on se met à suer , il ne fault point de médecin, car qui se descouvre le moins du monde ou qui se couvre ung peu trop, en quatre heures,
aulcunes fois en deux ou troys, on est dépesché sans languir.….. -
Hier, estant allé pour jurer à la trefve, on les veoyt dru comme mousches se jetter des ruës et des boutiques dedans les maisons, prendre la suée incontinent que le mal les prenoyt. Je trouvay
(1) Le pays de Kent.
420 JÉAN DU BELLAY.
l'ambassadeur de Milan sortant à grant haste de son logis, pour ce que deux ou troys souldainement en estoient prins. S’il fauldra, Monseigneur, que tous les ambassadeurs en ayent leur part, au moins en mou endroict n’aurez-vous pas gaigné vostre cause, car vous ne pourrez vous vanter que m’ayez faict mourir de faim, et d'avantage le roy aura gaigné neuf moys de mon service qui ne luy auront rien cousté ; ce ne luy aura esté fait peu de prouf- fict. Par Dieu de paradis! Monseigneur, quant la suée et la suerye me viendra veoir, et qu’il me fauldra passer la carrière et la suée, je n'y auray pas si grant regret que ceulx qui sont plus à leur aise que moy. Mais Dieu les y maintienne (1)!
On voit, dans cette lettre, que, dès le mois de jan- vier de l’année 1598, J. du Bellay désespérait déjà de la cause de Catherine d'Aragon, mais que cette affaire le touchait peu, moins que la suette, moins que l’état de ses finances. On devait lui compter quinze livres par jour (2), somme insuffisante puisqu'il ne dépensait pas moins de quatre cents écus par mois en vins de toute espèce (3), et encore ne lui envoyait-on pas les termes échus de ses appointements. Dans la pitoyable situation où 8e trouvait alors le trésor public, François Ier avait converti le plus grand nombre des charges ecclésias- tiques en autant de sinécures dont il attribuait les reve- nus à ses ministres, à ses ambassadeurs, clercs ou laïques, et même à ses poëtes et à ses courtisans; mais comme les deniers des bénéficiaires devaient d’abord passer par Îles mains de leurs suppléants, de leurs économes et de leurs banquiers, ils n'en recevaient,
(1) MSS. de Béthune, et Le Grand, Preuves de l’Hist. du Divorce.
(2) Lettre du 27 nov., dans Le Grand. (3) Lettre du 21 juillet.
JEAN DU BELLAY. 494 :
cela va sans dire, qu'une très-faible part. Importuné par des créanciers exigeants, J. du Bellay se rappela sans doute plus d’une fois qu'avant de l’envoyer à Londres te roi lui avait donné l'évêché de Bayonne : mais vainement alors il réclamait, sur le ton le plus impérieux, l’excédant de recettes qui devait se trouver dans la caisse épiscopale ; il était loin, on feignait de n'avoir pas entendu ses cris de détresse, ou bien, comme il nous Île raconte, on le payait « en belles gambades (1). » Les jours succédant aux jours et les mois au mois, sans que personne eût égard aux pres- santes remontrances de Jean du Bellay, il déclara qu'il ne pouvait plus subvenir aux frais de sa maison et demanda son rappel. On trouva peu convenable sans doute qu’un évêque fit tant de bruit à propos d'écus, et sa demande fut mal accueillie : « Par Dieu de para- dis! Monseigneur , écrivait-il le 8 juin au maréchal de Montmorency, si je n'ay mon congé, je m'en iray sans lavoir, et qui me voudra foüetter n'estant point mon maistre, trouvera que je crains moins cent mors que une honte. Si Job estoit en ma place , il n’auroit tant actendu à perdre patience. » Ce sont là des propos lestes, vifs et peu séants dans la bouche d’un évêque. Cependant les menaces de Jcan du Bellay n'eurent pas plus de succès que ses humbles prières, et il ne fut déchargé ni de son ambassade ni de ses dettes.
Pour surcroît d’ennuis , il fut atteint par le mal ré- gnant. Nous lisons dans une lettre du 21 juillet : « Quant au dangier, Monseigneur, qui est en ce pays, il com- mence à diminuer decza, età augmenter ez lieux où il
(1) Lettre du 27 nov.
122 JEAN DU BELLAY.
n'avoit esté ; en Cainet est à ceste heure fort. Made- moiselle de Boulan et son père ont sué, maïs sont es- chapez. Le jour que je suay, chez M. de Cantorbery en mourut dix-huit en quatre heures : ce jour-là ne s'en saulva guères que moy, qui n'en suis pas encore bien ferme; le roy s’est eslongné plus qu'il n’estoit, et espère qu’il n’en sera nul mal... » La fin de cettelettre contient encore une très-vive requête, et c’est toujours de l'argent que demande Jean du Bellay. On lui répon- dit par le même silence, car le 27 novembre, c’est-à- dire après un an passé de séjour à Londres, il n'avait pas encore touché le premier écu de ses gages. C’est alors qu'il prit parti de venir les réclamer en personne, et on le vit à la cour de Fontainebleau dans les pre- miers mois de l’année 1529 ; mais il n’y séjourna pas longtemps, puisque, le 2 mai, il était de retour à Bou- logne , attendant le navire qui devait le transporter à Douvres. Îl arrivait à Londres le 22 de ce mois. Avait-il obtenu, dans ce voyage, ce qu'il était venu solliciter, ce qu'il semblait avoir plus à cœur que tout le reste, le règlement de ses comptes avec le trésor royal? Rien ne l'indique ; mais comme nous le voyons, de retour à Londres , parler de ses vignes de Saint- Cloud, nous supposons que, touché de ses remon- trances , le roi lui avait abandonné les revenus de ce fief ecclésiastique, compensation bien insuffisante, comme J. du Bellay ne tarda pas à le déclarer au ma- réchal de Montmorency : « À dire vray, les jardins de Saint-Clou ne sont bien assez en perfection, s'ils ne sont accompagnez de la garenne de Saint-Mor (1). »
{1} Lettre du 4 octobre, dans Le Grand.
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Le roi, qui l’aimait et avait besoin de lui, lui donna bientôt cette baronnie de Saint-Maur qu’il convoitait avec tant d'ardeur.
Jusqu'à la fin de l’année 1528, Jean du Bellay de- meura près du roi d'Angleterre qui déjà l’avait adopté pour son confident. Il était de toutes les fêtes que le roi donnait en l'honneur de sa maîtresse. Aussi, quand à fut question du divorce, le pressa-t-on de donner son avis sur cette affaire délicate. Il se garda bien de l’examiner en canoniste, et répondit, en courtisan, que le royal amant de la marquise de Pembrock n'avait pas à s'inquiéter des scrupules de la cour de Rome (1). Ce fut un conseil qu'Henri VIII n’oublia pas. Dans les premiers mois de l’année 1529, Jean du Bellay vint en France. Il était à Blaye le 6 mars, le 17 juin à Bor- deaux et, le 15 août, à Paris, quand son frère aîné partait pour l'Angleterre avec les articles du traité de Cambray. Tous les historiens disent quelle part Jean du Bellay prit alors à la fondation du Collége de France. Plein de zèle pour tout ce qui pouvait contribuer à la gloire des lettres françaises, il appuya de toute son influence les démarches déjà faites au sujet de cet établissement par le célèbre Guillaume Budée, et ils obtinrent enfin les lettres patentes qui constituèrent le Collége Royal , en l’année 1530.
Vers le mois de juin de l’année 1532, Jean du Bellay accompagnait en Angleterre son frère Guillaume. Ils allaient tout préparer pour l'entrevue de Calais. Une lettre de l’évêque de Bayonne , du 22 juillet 1532, con
(1) J. Lingard, Hist. d’Angl., t. it, p. 172 de la trad. de M. Léon de Wailly.
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tient les plus intéressants détails sur cette négociation. Nous lisons dans cette lettre, qui est à l’adresse du ma- réchal de Montmorency :
MONSEIGNEUR ,
Je scay véritablement et de bon lieu que le plus grant plaisir que le roy pourroit faire au roy son frère et à Madame Anne, c’est que le dit seigneur m’escripve que le requiere le roy son dit frère qu’il veüille mener la dicte dame Anne avec luy à Callais, pour la veoir et pour la festoyer, affin qu’ils ne demeurent en- semble sans compaignie de dames , pour ce que les bonnes chères en sont tousjours meilleures. Mais il fauldroit que, en pareil cas, le roy menast la royne de Navarre à Boullongne pour festoyer le roy d'Angleterre. Je ne vous escriray de là où cela vient, car j’ay fait serment... Quant à la royne, pour riens ce roy ne vouldroit qu’elle vint. Il haït cest habillement à l’espaignolle tant qu’il luy semble veoir un diable.
Ainsi, même avant la célébration de son mariage secret avec Anne de Boleyn, Henri VIII désirait la présenter à François Ier dans une circonstance solen- nelle, et il avait chargé l’évêque de Bayonne de confier discrètement ce désir à la cour de France. On voit, du reste, que celui-ci était homme à remplir, sans aucun trouble de conscience, l’étrange commission qui lui avait été donnée. Il n’était pas seulement l'ami du roi, ilétait encore un des familiers de sa maîtresse. Il faut l’entendre raconter, avec son abandon habituel, en quels termes il vivait, à Londres, avec ce couple abhorré par l'Église et par le peuple d'Angleterre. Voici un autre fragment de la lettre du 22 juillet :
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MONSEIGNEUR,
Ï1 me semble que je ne ferois un homme de bien, si je vous cellois la bonne chère que ce roy et toute la compaignie m'a faict, et la privaulté dont il use envers moy. Tout du long du jour je suis seul à seul avec luy à la chasse, là où il me compte privé- ment de tous ses affaires, prenant autant de peine à me vouloir donner plaisir en sa chasse comme si je feusse un bien grant per- sonnaige. Quelquefois il nous mect, Madame Anne et moy, avec chacun son arbaleste pour actendre les daings à passer, comme vous entendez leur façon de chasser. Quelqu’autrefois sommes, elle et moy, tous seuls en quelque aultre lieu pour veoir courir les daings; et comme nous arrivons en quelque maison des siennes , il n’est pas si-tost descendu qu’il ne me veüille monstrer et ce qu’il a fait et ce qu’il veult faire. Ceste dicte dame Anne m'a faict présent de robbe de chasse, chappeau, trompe et lévrier. Ce que je vous escripts, Monseigneur, n’est pas pour vous cuider persuader que je soye si honneste homme que je doyve estre tant aymé des dames , mais affin que vous cognois- siez comment l’amitié de ce roy s'accroist et continue avec le roy (1).
On nous épargne de commenter cette lettre. Pour faire connaître Jean du Bellay, il suffit de le laisser parler de lui-même. Que l’on nous permette, toute- fois , de placer ici ce que Gargantua nous apprend du célèbre frère Jean des Entommeures : « Chascun lesoub- haïite en sa compaignye. Il n'est point biguot, il n’est point dessiré { déchiré, misérable, gueux }; il est hon- neste, joyeulx, délibéré, bon compaignon. Il travaille, il laboure , il deffend les opprimez, il conforte les
(1) MSS. de Béthune , n° 8598, et dans Le Grand.
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affigez, il subvient aux souffreteux, il guarde le clouz de l’abbaye. — Je foys, dist le moyne, bien dadvan- taige. Car en dépeschant nos matines et anniversaires au cueur, ensemble je foys des chordes d’arbaleste, je polyz des matras et guarrotz, je foys des retz et des poches à prendre les connins. Jamais je ne suys oisif. » Or quel est, suivant les interprètes de Rabelais, le véritable frère Jean ? Quel est le prototype de ce rude compère , qui, sous le froc du moine, n'a pas moins les allures que les mœurs d’un gendarme ? On s'accorde à nous dire que l’auteur de Pantagruel, recherché par Jean du Bellay, admis à la table de ce prélat très- peu scrupuleux dans le choix de ses familiers, l’a fait paraître en scène, dans son roman, sous le nom de frère Jean des Entommeures. Qu’en faut-il croire? Il est incontestable que l’évèque et le moine ont de com- mun autre chose que le nom : ils ont l’un et l’autre l'humeur gaie, le cœur brave, et ne s'inquiètent guère plus l’un que l'autre des versets que l'on chante au chœur, tandis qu’ils préparent leurs engins de chasse ou de guerre. Oui, sans doute , ils se ressemblent, autant qu'une bouffonne caricature est l’image fidèle de la réalité. Encore, oserait-on dire que l’évêque de Bayonne, vêtu d’une robe de chasse, ayant sur sa tête le chapeau retroussé, sur ses épaules la trompe aux joyeuses fanfares, à ses côtés le levrier au pied rapide, et poursuivant le dain, dans un bois de Windsor, avec la digne maîtresse du plus effronté libertin de la cour d'Angleterre , ait joué, sous ce costume, en ce lieu, dans cette compagnie, un personnage moins burlesque, moins facétieux, moins profane, que notre frère Jean vidant les pots ou devisant avec Panurge sur les in -
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convénients du mariage ? Mais fermons ici cette paren- thèse, et continuons notre récit.
Deux mois après avoir écrit l'étrange épitre que nous venons de reproduire , Jean du Bellay était de retour en France. François de Poncher, qui avait reçu l'évêché de Paris des mains de son oncle Etienne , sous forme de résignation , était mort le 12 septembre, etle roi, voulant donner au conseiller intime de Henri VIIL une preuve éclatante de son affection et de sa recon- naissance, l'avait appelé, dès le 20 septembre, à la possession de ce riche bénéfice. Il conserva , suivant l'usage , l'évêché de Bayonne, et n’attendit pas même les bulles du pape pour s'établir dans lévêché de Paris. Ces bulles ne lui furent remises qu’au cours de l’année suivante, car elles portent la date du 2 mai 1533, et le roi ne les confirma que le 1er octobre 1534. A cette époque, il y avait un an déjà qu'il acquittait, avec les revenus de l’évêque de Paris, les dettes de l’ambassa- deur